The Fifth Dream est le second album de la Tunisienne Azu TIWALINE, en réalité le premier si l'on veut être pointilleux car le précédent Draw me A Silence (2020) reprenait deux EP du même nom et n'était donc pas vraiment une création nouvelle.

La compositrice, productrice et DJ qui a beaucoup tourné au cours de ces derniers mois (USA, Canada, Mexique, Australie, Japon, Royaume-Uni, Belgique, Italie, Croatie, Espagne, Allemagne, Danemark, Suisse, Portugal, Lithuanie, Pologne, Pays-Bas, France....) commence à se faire un joli nom dans le milieu de la musique électronique. The Fifth Dream va donner l'occasion à Azu TIWALINE de collaborer de nouveau avec le percussionniste et artiste sonore (modular percussionist) iranien Cinna Peyghamy, né à Paris, et qui a fait ses études d'ingénieur, de musicologie et d'informatique musicale en France. Peyghamy intervient ainsi sur 8 des 9 morceaux de cet album, utilisant le tombak, un tambour d'origine perse et instrument majeur d'accompagnement de la musique iranienne (nécessitant une très bonne maîtrise tant son jeu est élaboré) ; mais nombre de percussions sont également issues de reproductions numériques de structures rythmiques entendues par la productrice et partiellement reprises.

Ce nouveau disque, comme le précédent - et très bon - EP Magnetic Service (2020) explore la "percussion hypnotique et mystique du Sahara tunisien", jouant sur une dualité de sons à la fois froids, issus du numérique, et chauds issus des percussions - parfois polyrythmiques - boisées. La compositrice, très attachée à ses racines sahariennes berbères, joue une musique à la croisée de la techno et des rythmes traditionnels nord-africains, voire de l'Afrique de l'Ouest (elle a grandi en Côte d'Ivoire). Si la Tunisienne vit entre la France et la Tunisie c'est pendant ses moments où elle revient dans le désert qu'elle a le temps de composer ; toute sa musique s'imprègne donc des images et des atmosphères de ces grandes étendues désertiques et sablonneuses, le désert étant le meilleur endroit pour composer.

Dès l'entame de The Fifth Dream on est plongés dans cet environnement qu'elle affectionne tant, fait de désert, de sable, de palmiers. Sur "Golden Dawn" c'est le chant des oiseaux ; sur "Night in Palmtree", 1er single de l'album, c'est celui des insectes nocturnes ; sur "Antennae Opening" on peut entendre en background sonore musique, chant et bruits issus de l'environnement local.

L'entrée en matière de l'album est très douce et prend son temps pour planter le décor local mais n'oublions pas que The Fifth Dream est un album de musique électronique moderne et tout cet environnement va vite s'entremêler aux beats, et sonorités - métalliques notamment - enveloppées de profonds échos issus du dub et de la dub techno. En sus du travail sur les échos (ou delay), les synthés qui apparaissent à la moitié du titre "Golden Dawn" sont par exemple typiques des sonorités que l'on retrouve dans la dub techno.

"Blowing Flow", le 2nd titre mis en écoute sur le Bandcamp de l'artiste, n'est pas sans rappeler certaines sonorités et une certaine esthétique de MONOLAKE, sans en être une copie. Il y a des références moins prestigieuses. Cet album touche souvent à l'ambient techno, les morceaux, de cinq à sept minutes, prenant le temps de s'installer (le minimal "Antennae Opening", "Golden Dawn"). Très réussi également, "Long Hypnosis" nous amène progressivement sur des territoires plus Tech-House en clair-obscur ; s'ensuit l'envoûtant "Reptilian Waves" qui, pour le coup, franchit pour de bon la frontière et nous projette dans un décor peu rassurant qu'il prend le temps d'installer (avec ses 64 bpm seulement). On ne le dira jamais assez, ce n'est pas pour rien que les échos sont régulièrement utilisés dans les bandes sonores des films d'angoisse...

"Mei Long" est la composition la plus techno, dans un sens classique (ou la plus dancefloor), mais pas la plus représentative de The Fifth Dream. Les deux derniers titres ("Canopée Imaginaire", "Amen Dub") reviennent aux percussions boisées et tirent clairement vers l'ambient techno, "Canopée Imaginaire" nous installant dans une sorte de rêve comateux où la frontière entre rêve et réalité devient floue alors que "Amen Dub", et son dub léthargique, nous convie à prolonger le voyage plongés que nous sommes dans des vapeurs qui nous endorment et nous décorporent.

L'apport vraiment plaisant de cet album, ce qui en fait sa force, lui qui se risque dans un style ultra saturé qui peut rapidement devenir ennuyeux, est clairement cette belle touche d'ambient et de captation des images et paysages du Sahara, de ses palmeraies (très jolie pochette au passage de Hengki Koentjoro), et l'apport du travail sur les percussions notamment grâce à cette collaboration avec Peyghamy. Azu TIWALINE a réalisé avec The Fifth Dream son œuvre la plus ambitieuse et la plus complexe, c'est un joli voyage qu'elle nous propose en mêlant habilement électronique moderne et une instrumentation traditionnelle en provenance de ses terres d'enfance.

Morceaux préférés : "Night in Palmtree", "Blowing Flow", "Long Hypnosis", "Reptilian Waves", "Canopée Imaginaire"