Il y a des chroniques qui naissent dans votre texte comme une évidence. Des mots qui poussent sans qu'on ait trop besoin de les arroser, des phrases qui s'assemblent comme des briques de Lego, sans forcer. Des chroniques paradoxalement parfois à l'opposé de l'œuvre musicale qu'elles tentent modestement d'illustrer, qu'elles essaient vainement de décrire. Car c'est dans la douleur que THE FRANKLIN ELECTRIC a conçu son cinquième album. Il aura en effet fallu de nombreuses années et une retraite au Mexique pour que Jon Matte, auteur et compositeur de la formation Montréalaise, parvienne à mettre en mots et en musique le parcours chaotique d'un frère miné par la dépression, détruit par l'addiction, victime d'importants troubles psychiatriques que l'artiste aborde ici frontalement, sans gants ni détours.

Comme sur ses précédents albums, THE FRANKLIN ELECTRIC pratique une musique que l'on pourrait qualifier "de proximité", essentiellement folk, et dont l'intensité se fait inversement proportionnelle à la richesse de ses arrangements. Souvent épuré, porté par une guitare ou un piano, Oh Brother se fait le plus souvent discret, intime, et ne fait appel que rarement à des sonorités rythmiques et au duo basse / batterie ("Monsters", "Wasted"). En réalité, cet album s'inscrit dans une tradition folk allant puiser son inspiration du côté de SIMON & GARFUNKEL autant que de celui de PASSENGER. Il faut y voir ici une volonté de créer beaucoup avec peu, quelques notes, quelques harmonies, se faisant suffisantes pour créer un univers, bâtir un propos, un monde.

Et c'est ainsi que Jon Matte nous emmène avec lui dans ce voyage torturé, accompagnant son frère de la manifestation des premiers signes ("Warning Signs") jusqu'à l'éprouvante réalité d'un quotidien martyrisé ("Monsters"). Malgré une durée courte (32 minutes), Oh Brother prend le temps de s'installer, démarrant sur quelques notes de guitare acoustique et s'achevant sur une délicate ballade au piano, "Oh Brother" qui clôture l'album se faisant une valse délicate proche de l'univers de Yann Tiersen sur Amélie Poulain notamment. Entre les deux, il y a cette voix retenue, parfois presque lancinante, qui donne corps et âme à une poignée de morceaux dont la modestie des arrangements décuple parfois la beauté. Il en va ainsi de "It's a Winding Road", pas si éloignée des réalisations juvéniles du père DYLAN. Que l'on souscrive ou non au résultat, il y a dans cette démarche, cette volonté de retrouver les racines du folk narratif, chronique sociale et humaine, une sincérité qui donne corps et substance à cet album.

Et puis, de l'ombre, Oh Brother glisse peu à peu vers la lumière, "If You Lead" ou "This Time Tomorrow" proposant des mélodies plus légères et un propos porteur d'espoir, faisant de l'album une collection de morceaux aux ambiances variées et dont la progression donne l'impression d'une ballade automnale en montagne, débutant dans un brouillard à trancher au couteau, s'achevant sous un soleil radieux. Ce qui compte ici, c'est le chemin.

De cette démarche très personnelle, THE FRANKLIN ELECTRIC propose un album humble et délicat, assez cru également dans certaines descriptions dont la dureté tranche avec la caresse des mélodies. Album sincère et porté par des mélodies à la beauté discrète, Oh Brother est une belle surprise folk qui confirme, si cela était encore nécessaire, que le groupe de Jon Matte est un des meilleurs artisans du folk contemporain.