Si Thanksgiving, célébrée le quatrième jeudi de novembre, reste une aubaine pour les éleveurs de dindes (on estime à plus de 45 millions le nombre de volatiles, tués, cuits et mangés), Christmas demeure une période propice pour l’industrie américaine du disque. Qu’on ne s’y trompe pas, certaines sessions d’enregistrements débutent dès le mois d'avril. Ces publications concernent plus particulièrement le domaine de la Country Music. Tous les ans, une quinzaine d’albums sortent du lot, envahissant les bacs des disquaires américains et canadiens. L’industrie du disque de Noël peut se frotter les mains, la recette ne change guère : de belles pochettes avec des paysages enneigés, un sapin, un traineau et parfois une pile de cadeaux emballés dans du papier doré ou rouge, des chants pleins de douceurs mêlant traditions, bondieuseries et bienveillance et le tour est joué. Si la Country demeure particulièrement vigilante sur les attraits que peut lui apporter Noël, un artiste américain s’est particulièrement distingué dans ce domaine en la personne de Glen CAMPBELL.

Revenons rapidement sur son parcours qui a duré près de six décennies. Glen Travis Campbell voit le jour en 1936 en Arkansas. Septième fils d’une famille pauvre de douze enfants, il se met très tôt à la guitare. Enfant prodige, il intègre l’orchestre de son oncle Dick Bill à Albuquerque, qu’il quitte pour monter les Western Wranglers. Fin fifties, il se marie et s’établit à Los Angeles où il devient guitariste de sessions. Il aurait participé en 1960 à plus de 580 sessions d’enregistrement, intégrant ce qui deviendra The Wrecking Crew, important collectif de sessionmen. Il enregistre son premier single "Turn Around, Look At Me" édité par Crest en 1961. Embauché par Capitol l’année suivante, il s’impose comme chanteur avec "Too Late Too Worry, Too Blue To Cry". Au milieu des sixties, on le retrouve à la basse au sein des BEACH BOYS, mais ce n’est qu’en 1967 qu’il connaît la consécration avec "Gentle On My Mind", une reprise de John Hartford. Il récidive un an plus tard avec "Wichita Linema", une ballade de Jimmy Webb plus Pop que Country, et enregistre un album en duo avec Bobbie GENTRY.

Avec son beau sourire, Glen décroche son propre show télé The Glen Campbell Goodtime Hour, émission qu’il anime jusqu’en juin 1972. Passionné de cinéma, il obtient le second rôle dans le western True Grit (Cent dollars pour un sheriff) au côté de John Wayne. Ses deux films suivants (Norwood et Strange Homecoming) de vrais navets, ne viennent en rien contrarier ses ventes de disques. Victime d’addictions à l’alcool et à la cocaïne, son succès auprès du jeune public s’estompe au fil des années. Ce qui ne l’empêche pas d’enfiler quelques Number One Country avec "Rhinestone Cowboy" ou "Southern Night" d’Allen Toussaint en 75.
En 1976, après un troisième divorce, sa relation avec la chanteuse Tanya Tucker fait les choux gras de la presse à scandales. Passionné de golf, Glen Campbell se tourne vers la religion au début des eighties, suite à son mariage avec Kim Woolen, une ancienne danseuse de revue. Durant les années 90, il oriente son répertoire entre Country Gospel et Country traditionnelle. Auteur de 60 albums studios, Glen Campbell se voit intronisé en 2005 au Country Music Hall Of Fame. En 2010, il enregistre son 61ème disque, un album promu par la tournée Goodbye Tour en compagnie de trois de ses enfants, une tournée qui émeut l’Amérique alors que le chanteur vient d’être diagnostiqué Alzheimer. Fin 2012, Glen Campbell met en boîte son dernier disque, Adios, album édité par UMe, une filiale d’Universal, après le décès de Glen Campbell en août 2017.

Si chez nous, le nom de Glen Campbell n’évoque pas grand-chose hormis trois ou quatre tubes et d’innombrables duos se rangeant aussi bien dans le domaine de la Country que de la Pop, le bonhomme a connu un parcours au long cours, jalonné de cinq albums dédiés à Noël. A cela, s’ajoutent six compilations dédiées à Santa Claus (le Père Noël américain) dont la dernière sobrement intitulée Christmas a été publiée en 2000. Vous l’avez compris, Christmas c’est du pain béni pour de nombreux porteurs de stetson et d’éperons.

Bien évidemment, Forces Parallèles aurait pu se lancer dans des chroniques privilégiant le caractère exhaustif des quatre albums de Noël de Glen Campbell, mais afin de préserver votre patience et votre bonne humeur, on a jugé que cette galette devrait suffire à elle-seule et combler les attentes des amateurs de Country et de Chants de Noël. La pochette qui ne trompe pas pourrait involontairement se révéler parodique avec cette écharpe brodée au nom du chanteur, une écharpe en tricot bien dans la tradition de Noël. Une pochette somme toute assez sobre, pas de neige, pas de sapin, pas de traîneau ni de rennes, juste un sourire à l’Ultra-Brite.

Le compilateur a ratissé large : la moitié des titres provient de l’album That Christmas Feeling (pistes 1-3-7-8-9) édité en 68 par Capitol. Deux titres sont issus de Oh Happy Day, même chiffre avec The Night Before Christmas, une compilation dans laquelle figurent également Bobbie GENTRY et Ella FITZGERALD. Afin de correspondre aux codes du moment, Capitol a ajouté en guise de 10ème piste un morceau pioché dans Oh Happy Day publié en 1970.
En guise d’ouverture, c’est un vrai plein de violonades et de cordes en tout genre que nous offre Campbell avec "The Christmas Song (Merry Christmas To You)", chanson composée par Mel Tormé durant l’été 44, une alternative pour lutter contre la canicule qui sévissait alors à New York. Avoisinant les 2000 covers, le titre semble faire toujours recette, Brandy et Samara Joy l'ayant récemment repris. Le canadien Louis Morissette adapta la chanson en français avec "Joyeux Noël", repris chez nous par Céline DION, Roch VOISINE et Marie Myriam. Aussi vieux et encore plus repris, "Have Yourself A Merry Little Christmas", une compo de Ralph Blane figurant au générique du film Meet Me In Saint Louis (Le Chant du Missouri) chanté par Judy Garland. Le titre plaît tellement à Sinatra qu’il le reprend à trois reprises. Si l’interprétation de Campbell ne se révèle pas plus mauvaise que la moyenne, elle n’en demeure pas moins peu captivante, à moins d’apprécier les chants de Noël et le style crooner. Le titre semble toujours tendance, Norah JONES et les anglais Il Divo l’ont récemment mis dans leur besace afin de remplir leurs bas de laine.
La paire Sammy Cahn/ Jimmy Van Heusen apporte deux titres. Si cette doublette est à l’origine d’un grand nombre de succès de Doris Day, Dean Martin, Frank SINATRA et la firme Capitol, "Christmas Is For Children" composé spécialement pour Glen Campbell se révèle incroyablement insipide. Aucun gamin ne montera au sapin en entendant cette ballade tristounette bourrée de cordes. Leur seconde création "It Must Be Getting Close To Christmas" s’avère aussi fadasse avec des chœurs intempestifs et une mélodie qui ne retient l’oreille à aucun moment. Composé par Sammy Cahn sans son compère, "There’s No Place Like Home" n’est autre qu’une variante de "Home Sweet Home", titre du XIXème siècle devenu un classique du Bluegrass. CAMPBELL nous offre ici une ballade cafardeuse, le genre de morceau qui donne plutôt envie de se pendre que d’ouvrir son cadeau au pied du sapin. Autre nouveauté avec "One Pair Of Hands", une compo de Barbarita (Billie) Campbell et Mann Curtis qui navigue dangereusement entre Country Gospel et Pop larmoyante.
"Pretty Paper", une création de Willie Nelson enregistrée par Roy ORBISON, accroche mieux l’oreille. Cette histoire de vendeur ambulant écoulant crayons et papier cadeau fera le bonheur de nombreux countrymen (Randy Travis, Don McLean, Chris ISAAK). "The Night Before Christmas", une spoken song inspirée d’un poème du théologien Clement Clarke Moore posée sur un semblant de mélodie de Ken Darby, compositeur du Magicien d’Oz, ne parvient pas à retenir l’attention. Ce titre aurait forgé la notoriété de Santa Claus auprès des enfants américains.
Deux classiques agrémentent cette soupe bien fadasse : "Silent Night, Holy Night", adaptation américaine de "Stille Nacht, heilige Nacht" de la paire autrichienne Gruber/Mohr, devenu chez nous "Douce Nuit, Sainte Nuit". En temps normal, n’importe quel quidam pourrait se laisser bercer par cette douce mélopée, sauf que le beau Glen met tellement peu d’entrain et de conviction que la chanson devient vite barbante et fastidieuse, un comble pour un morceau de tout juste 180 secondes. Un titre toujours en vogue, Camelia Jordana venant d’en faire une version digitale. Autre indémodable avec "White Christmas", standard d’Irving Berlin popularisé par Bing Crosby pendant la Seconde Guerre. Francis Blanche adapta la chanson avec "Noel Blanc", une ritournelle popularisée par Tino ROSSI. Là, Campbell met un peu plus de cœur à l’ouvrage derrière une mandoline, des cordes, des violons et un orgue qu’on croirait sorti d’une usine Bontempi.

Cette compilation aussi insipide que passée de mode retranscrit malheureusement le répertoire destiné à une clientèle proche de l’American Way Of Life. Derrière une orchestration maussade, sans le moindre sursaut, une production sans relief d’Al De Lory, Glen CAMPBELL semble n’être venu que par obligations contractuelles. Un disque idéal en guise de cadeau pour votre une belle-mère. Par charité d’âme, votre humble serviteur vous fait grâce des chroniques des différents albums de Noël de Glen CAMPBELL, ma patience ayant ses limites.