Sorti en 1995, Maxinquaye constitua un triomphe pour un TRICKY tout juste échappé de MASSIVE ATTACK. Un enregistrement d’ailleurs célébré en cet an de grâce 2023 via un coffret comprenant l’album remastérisé à Abbey Road, un live, divers remixes et revisites avec les chanteuses MARTA, Sukie SMITH et LUCIA.

Même le grand BOWIE avait été à l’époque bluffé par cet album, cette impression se renforçant lors d’un concert ayant eu lieu au Shepherd’s Bush Empire de Londres et aboutissant à l’écriture d’une lettre ainsi qu’un article libre dans le magazine Q à propos d’une hypothétique rencontre avec le natif de Bristol. Le courrier restera sans réponse, peut-être par arrogance ou simple gêne d’un jeune musicien intimidé par les éloges de celui qui était son idole plus jeune.

Mais si Maxinquaye fut un triomphe, il fut également une chape de plomb pour le chanteur britannique car toute pièce a un revers. Après de nombreuses et éclectiques collaborations notamment avec Elvis COSTELLO ou GRAVEDIGGAZ, il désire se débarrasser de l’étiquette trip hop dont on l’a affublé bien malgré lui. Pour cela, il décide de changer sa manière de travailler, expérimente de nouveaux sons, se met en danger pour sortir de sa zone de confort. Island ne lui permettant pas de sortir plusieurs disques par an sous son patronyme, ce nouveau projet se nommera NEARLY GOD, d’après une question d’un journaliste allemand lui demandant un jour ce que cela fait d’être Dieu… Enfin presque Dieu.

L’album démarre par une adaptation méconnaissable d’une chanson écrite par SIOUXSIE. Basse et violons créent une langueur quasi-sexuelle, les reflets dorés et fades d’un soleil jouant à cache-cache avec un nuage atomique se découpant sur les fenêtres de cette industrie abandonnée endossant le rôle de chambre à coucher pour deux anonymes amants. "Tattoo" est la première des trois reprises traversant Nearly God, le pressage américain en adjoignant deux autres : "Judas" signé DEPECHE MODE et le moins décisif "Children’s Story" due au rappeur new-yorkais SLICK RICK, une influence majeure pour TRICKY.

Ce disque constitue une véritable œuvre collective ; est ainsi convoquée une meute impressionnante d’invités prestigieux. La muse Martina TOPLEY-BIRD est toujours présente sur le superbe premier single à l’ambiance presque médiévale "I Be the Prophet" et sur l’énorme "Black Coffee", imposant monument de tension latente à peine radouci par un break quelque peu lumineux. Autre artiste ayant durablement marqué le jeune homme dans sa jeunesse, Terry HALL participe également à la fête, bien que celle-ci revête un aspect plus que torve.

Se réappropriant le ska né auparavant en Jamaïque, les SPECIALS, collectif multicolore où officiait HALL derrière le micro, furent l’emblème du mouvement Two-Tone voulant promouvoir fraternité sociale et raciale. Leur énorme succès "Ghost Town" sorti en 1981 sous une pochette délicieusement grinçante offrit un instantané parfait d’une Angleterre à la dérive, alors en proie au chômage, racisme et flicage excessif. Collaboration quasi-naturelle, HALL signe deux titres sur Nearly God. Le funk aquatique "Bubbles" décrit la fugacité de l’existence, "Poems" les fausses promesses et engagements difficiles à tenir sur une mécanique d’horloger imparable et souterraine.

La mentor des premières heures Neneh CHERRY, Alison MOYET (50 % de YAZOO) ou encore BJÖRK se proposent également de poser leurs voix sur ces instrumentations étranges et inconfortables, à la limite de la claustrophobie, ensemble de démos brillantes mais incomplètes comme les juge le musicien, et finalement raccords au visuel conçu par Maï Lucas. Photographie croquant une issue de secours difficilement atteignable ou piège mortel vers lequel converger inexorablement à mesure que murs de part et d’autre se referment peu à peu ?

Peut-être que la vérité réside entre les deux, au service d’un paradis radical et rude. Dans le cas où la foudre frapperait deux fois, la route droit devant semble plutôt incertaine.