Clara Dufourmantelle dite YSÉ revient tardivement avec Oceano Nox en cette fin 2023, soit cinq ans après l'EP de 2018 qui les avait fait connaître, elle et ses chansons fiévreuses. Comme s'il lui avait fallu tout ce temps supplémentaire pour le deuil de sa mère célèbre et changer légèrement de peau.

Océano Nox compte comme un véritable album mais ne dure pas beaucoup plus longtemps que l'EP, à savoir environ trente-cinq minutes. L'artiste a délaissé cette fois son cher espagnol et même l'anglais des premiers temps pour se concentrer sur une écriture en français. Si dans la pop des chanteuses, vous recherchez une voix exceptionnelle, n'allez pas plus loin, d'autant plus que cet album mène YSÉ, tout juste trentenaire, à l'aboutissement qu'elle méritait.

Encore qu'il ne s'agisse pas non plus d'un chef d'oeuvre et qu'il y aurait des petites choses à redire, néanmoins Oceano Nox, publié chez Tôt ou Tard (comme à une époque Thomas FERSEN, Jeanne CHERHAL etc), s'impose parmi les belles surprises les plus récentes en Hexagone. Si durant le retard susmentionné, l'écriture et la sortie d'un roman en 2021 a révélé une autre forme d'inspiration pour Clara YSÉ, le disque au titre emprunté à Virgile et l'Enéide vient prouver qu'en musique, sa prose s'apparente davantage à la poésie, sans rien perdre de son caractère aventureux.

L'équipe n'est plus du tout la même qu'il y a cinq ans, ou presque : le percussionniste iranien Naghuib Shanbehzadeh intervient sur un seul titre, on retrouve aussi le doudouk joué par Seddy Novruzbayov. Et outre le batteur Tiss Rodriguez qui a joué un temps pour MAGMA, le musicien d'envergure pour la nouvelle identité musicale est Ambroise Willaume, ancien membre de REVOLVER qui a sévi dans la pop indé sous le nom SAGE. Pianiste-programmateur, gérant les quelques guitares audibles, c'est par ses synthétiseurs qu'il habille la touche particulière d'YSÉ, évoquant BARBARA et marquant donc directement la période après la révélation Zaho DE SAGAZAN. Le reste propose un habillage de cordes mais aussi et surtout de cuivres.

"Douce", réponse à celui qui, après la rupture, pense tout savoir de ses sentiments à elle, contient mal sa hargne verbalement, mais l'ensemble garde sa distinction. C'est le premier single paru de l'album, avant "L'étoile", tempo chaloupé en programmations, refrain ponctué de saxophone, solo de doudouk et très belle instrumentation en général. Enfin, plus ou moins liée à "Douce", c'est "Magicienne" qui a été détachée de l'album pour en donner, contrairement à "L'étoile", une idée classique et qui demeure fortement biaisée. Le morceau, très féminin avec son piano-voix en rythme de noires, sa chorale ensuite, n'en est pas moins joli.

Bizarre également que l'on n'ai pas compté sur "Souveraines", étant donné son engagement, son propos qui a tout pour faire mouche avec les questionnements actuels. La chanson, portée par un groove des îles mais avec une certaine profondeur, est simple, tubesque ; preuve donc que la facilité n'est point ce que recherche l'artiste. Il y avait aussi "Le Monde S'est Déchiré", rescapée de l'EP de 2018 et qui sonnait alors plus 'militaire'. Sans perdre l'optimisme de ses paroles, il a été décidé d'en faire une nouvelle version moins froide, entre synthés et envolée de violoncelle, mais également un parfum de chanson de marins. Avec une chanteuse déjà suffisamment ensorceleuse, qui n'hésite pas à se réserver des sauts d'octave magnifique pour atteindre les aiguës et redescendre aussi sec !

Mais en termes d'annonce, d'ouverture en grand sur l'univers de Clara YSÉ, c'est "Pyromanes" qui remporte les faveurs. Ceci, grâce à son clip autocentré, à nu et un rien déluré, tout comme ces modulations savantes, ces programmations haletantes, ces montées de saxophones inferno-dantesques aux côtés de refrains en chorale, le tout mené par une chanteuse qui parle d'intimité, de génération oubliée tout en évoquant/invoquant un cercle de sorcières à elle seule. Quel début impressionnant, difficile à rattraper et de fait, cela n'arrive jamais. Même le sax reste toujours en arrière-plan, hélas, après.

On peut s'émouvoir d'un "Soleil à Minuit" et sa relation passionnée solaire effectivement (un délice, ces mélismes orientaux dans la voix, cette guitare western), de ces "Coeurs Indomptés" à la poésie insistante, entêtante comme à l'énergie tribale de l'EP ponctuellement retrouvée, ou encore de ces ballades feutrées pleines de lyrisme romantique écorché que sont "La Trahison", "Lettre à M" et ses retrouvailles au conditionnel. On peut plonger tête première dans ce "Désert" imagé pour l'échange de celui que la chanteuse défend face à une fille qui ne le mérite guère, avec son ambiance andalouse, ses guitares intelligentes, son refrain beau même si très simple...

Surtout, on pourrait parler d'Oceano Nox en passant à côté des bons mots et sans trouver la formule adéquate, alors qu'il suffit de dire non, vraiment, et qu'il convient de découvrir cette artiste à la voix et au charisme magnétique qu'est Clara YSÉ.