C'est une question que je me suis souvent posée. Qu'est-ce qui pousse un artiste à épouser le monde des musiques sombres ? La passion forcément, la nécessité de s'exprimer sans aucun doute, autant de paramètres suffisamment prégnants et viscéraux pour choisir un underground qui par essence n'aura que peu, voire quasiment pas d'échos. Le cas des Parisiens de CURTAIN et, au-delà, de toute la scène à laquelle ils appartiennent, est instructif. Le projet, comme tant d'autres, a débuté en sortant d'obscures K7, il y a près de trois décennies. Puis, c'est l'excellent No Flowers by Request (2000) qui a mis rapidement le combo dans une discrète lumière. Il faut attendre Urban Disease (2006) pour reprendre contact avec lui, puis après silence total, le cours de la vie continuant naturellement.

La Muse a dû néanmoins taquiner sans conteste par intermittence les Français car les voici de retour avec Between Us. L'une des forces du courant cold wave est indéniablement son intemporalité. CURTAIN reprend les choses où il les avait laissées. Cette stabilité qui n'est pas pour autant un immobilisme forcené apparaît bien comme naturelle : quoi de plus pérenne en effet que ces sentiments contrariés, tourmentés ? N'y allons pas par quatre chemins ! Between Us, incisif et mélodieux en diable, est un album de très bonne facture, qui plus est pour le novice une belle porte d'entrée pour découvrir ces espaces froids comme un soleil d'hiver.

Si les années se sont inexorablement écoulées, le projet n'a pas perdu pour autant sa capacité à alterner avec bonheur moments abrasifs et d'autres beaucoup plus mélancoliques. Ces huit titres combleront à l'évidence les amoureux de la Touching Pop car CURTAIN continue vaillamment la route qui fut initiée par les cultes ASYLUM PARTY ou LITTLE NEMO. Les superbes "A Cold Life" et "Between Us", avec cette guitare cristalline si typique, la basse ronde et dansante que ne renierait pas Thierry SOBEZYK et cette voix comme distante, atone, soutenue par de discrets claviers, rappellent le meilleur des années bleues et grises. Stabilité, encore et toujours, mais aucune ambiance passéiste à l'horizon cependant.

Le duo injecte, et c'est heureux, une efficace dose électronique qui confère à certains titres son supplément de dynamisme. Ces pulsations rageuses qui épousent ainsi "Good Career" et "Obsession", si elles ôtent parfois l'onirisme romantique de CURTAIN, martèlent insidieusement la tête et esquissent dès lors de fiévreuses et prenantes atmosphères. Les guitares se dévoilent agressives et la voix d'Emmanuel Burget se présente comme le reflet hanté de celle d'un jeune Robert SMITH ou d'un Ronny MOORINGS à ses débuts. Between Us ne tergiverse pas et va à l'essentiel. Les morceaux bien amenés s’enchaînent sans temps mort. A l'image de l'introductif "Against The Wall" ou de "Speed Of Light", CURTAIN expose à travers cette pop froide les émotions qui nous étreignent encore et encore.

Je ne sais toujours pas pourquoi un artiste plonge dans ces eaux troubles, mais ce dont je suis certain, c'est qu'à l'instar de CURTAIN, il est éminemment précieux. Mélancolique et diversifié, le monde introspectif de Burget et Péronet développe une certaine idée de la beauté. Que cela ne reste surtout pas entre nous !