La pochette de ce quatrième opus de GROBSCHNITT nous renvoie à certaines illustrations de Roger Dean, auteur de nombreuses pochettes pour YES, ASIA, URIAH HEEP, GENTLE GIANT (pour ne citer que les plus connus). En fait, cette planche bien campée dans les domaines Fantasy et du Rock Prog provient de l’imagination de Heinz Dofflein, un peintre designer dessinateur attitré des labels Ohr, Unsere Welt, Metronome. Dofflein avait déjà donné quelques coups de brosses sur des couvrantes de GURU GURU, BIRTH CONTROL ou EMBRYO. Ce visuel nous oriente donc vers une sphère entre Krautrock et Rock Prog. Pour les amateurs d’anecdotes, Dofflein ne connaissait ni le groupe ni sa musique, il était juste en relation avec le claviériste Mist (Volker Kahrs) qui lui a décrit le concept de l’album, les aventures du jeune Ernie parcourant un monde étrange sur le dos d’un marabout, grand échassier ici de couleur rouge.

La formation allemande vogue dans un monde un peu à part sur l’échiquier musical. Si tous les membres disposent de pseudos et si la formation va bientôt se spécialiser dans des prestations pleines d’effets pyrotechniques, à l’image de nombreux groupes de Prog du moment, cet album concept a longuement muri dans l’esprit d’Eroc (alias Joachim Heinz Ehrig). Le troisième disque, Jumbo, est à peine dans les bacs que le groupe planche sur une nouvelle histoire. L’arrivée du bassiste Popo (alias Wolfgang Jäger) incite le claviériste Mist (alias Volker Kahrs) à écrire de nouvelles chansons. Si le groupe s’est longtemps distingué par ses paroles pleines d’humour et de second degré, cette fois-ci l’album propose un visage différent en nous contant le périple d’un jeune garçon voyageant à bord d’un avion en papier pour aller à la rencontre d’un monde fantastique et ainsi au-delà de ses rêves.
A l’image du disque précédent, Rockpommel's Land est enregistré à Wolperath de novembre 1976 à février 77, un studio établi dans la cambrousse à quarante bornes de Cologne et propriété de Conny Plank, ingé-son producteur à la base du succès de KRAFTWERK, GURU GURU, KRAAN, Brian ENO et plus tard de DEVO et ULTRAVOX. La rencontre entre Eroc qui a également officié comme ingé-son pendant quatre ans au sein des studios Menga basés à Gelsenkirchen et le fantasque ingé-son ne date pas d’hier. Conny Plank était déjà de la partie lors de l’enregistrement du premier éponyme en 1971. Après avoir répété certains titres lors de leurs concerts, pendant presque deux ans, le groupe s’enferme plus de trois mois dans les studios de Conny Plank. Lors d’une interview postérieure, le bassiste Popo déclarait que "Severity Town" avait nécessité 67 enregistrements jusqu’à atteindre la perfection attendue.

Quatre titres viennent fleurir la galette, deux par face. En guise d’intro, les doux arpèges d’une guitare permettent de faire connaissance avec Ernie, un jeune rêveur. Les claviers pleins de nuances donnent l’impression qu’on flotte dans les airs, comme au sein d'un tourbillon cosmique. Les paroles gorgées de métaphores et de poésie évoquent un appel à la liberté sous le regard d’un jeune innocent. High above the town soars a little boy in his paper plane - Ernie never felt so strong - Don't fear the shadow over you, it's a bird called Maraboo - He will light his light, Ernie, he will be your guide.
Presque aussi long (10 minutes), "Severity Town" débute sous les auspices de claviers qu’on croirait sortis d’une boite à musique, mais le sentiment de bienveillance et d’apaisement laisse peu à peu place à une menace, le ton montant crescendo, accentué par quelques cris et effets de synthé. Mais, à travers le texte, certains distingueront un univers bizarroïde parfois proche de Lewis Carroll, le titre se terminant sur une happy-end par le biais d’une plume magique donnée par le marabout.

A l’instar de la face A, deux plages composent la face B. "Anywhere", titre le plus court de l’album avec quatre minutes et des broutilles, s’annonce comme un mélange de Folk et de Prog Psyché dans la lignée de DONOVAN. Là, il est question de solitude et d’une vie après la vie, l’échassier rouge veille encore à la bonne tournure des événements. Le disque s’achève avec "Rockpommel's Land", un vrai conte de fée à lui seul, un long titre de 21 minutes servant d’épilogue au voyage d’Ernie et de son compagnon Marabout aux plumage magique. Au gré du récit et des péripéties rencontrées par le garçonnet et l’oiseau, le tempo s’accélère ou s’apaise selon les situations. Après avoir vaincu les hommes de pierre, Ernie perdu dans un désert lugubre de pierres et de sable parvient à trouver la terre promise, le fameux Rockpommel’s Land, retrouvant dans la Vallée des Grottes au cœur du Pic de la Liberté, Mister Glee l’ami des enfants, un endroit où la haine n’existe pas.

Cet album comporte les caractéristiques du disque concept, les quatre pistes se rapportant aux aventures fantastiques d’un jeune garçon nommé Ernie. Le phénomène n’était pas nouveau à l’époque, d’autres groupes liés au Rock Prog avaient entamé une démarche similaire : The Lamb Lies Down On Broadway (GENESIS) ou Tales From The Topographic Oceans (YES) en sont les parfaits exemples. Si le Prog et le Krautrock siéent parfaitement à ce style s’étant adapté avec aisance à de longues plages en termes de durée, l’exercice comporte toutefois des obstacles, à commencer par la longueur de certains titres qui finissent par perdre son auditoire. Si les arrangements et l’orchestration souvent remarquablement ciselés demeurent des modèles du genre, le disque ne connaît pas le succès espéré lors de sa sortie (en avril 77), la vague Punk sur le point de déborder, les prémices de la New Wave, le décès du King et les sorties de plusieurs bestsellers semblant en avoir constitué des freins. La seule faiblesse de ce disque résultait à l’époque dans sa place musicale. En effet, si Grobschnitt est souvent rangé dans le registre du Krautrock, domaine qui échappait alors à l’attention des auditeurs français, Rockpommel’s Land ne parvient jamais véritablement à se situer, oscillant entre Rock Prog, Prog symphonique, Krautrock et même Folk Psyché. L’album connaît cependant une seconde vie sur scène, à maintes reprises, procédé qui entraîne dans son sillage de nouveaux fans tombés sous le charme parfois ésotérique de l’aventureux Ernie. Un album à ranger entre YES, GENESIS, GENTLE GIANT et STRAWBS. Le disque est réédité et remasterisé par Eroc à plusieurs reprises sous formats vinyle et CD avec un bonus.

Ce disque est classé dans le registre Krautrock, mais la case Prog aurait elle aussi pu lui servir de support confortable.