En 2016, Armelle Oberle et Olivier Demeaux avaient été se tailler un petit royaume au cœur de la jungle birmane, ou peut-être khmère, ou bien indonésienne, en tous cas loin d'ici, à coups de de fusil et d'homélies italo-lorraines. Cinq ans plus tard, l'aventure sud-asiatique semble avoir pris fin. Nos deux camarades ont plié bagages pour se chercher un autre foyer et voilà qui tombe bien : heimat désigne également la 'patrie d'adoption' en allemand. Une seconde terre d'accueil que nos amis géographes auront encore une fois quelques difficultés à placer sur la carte.

Car ce second effort brouille les pistes. Au chant, Armelle déclame toujours en dialetto ou en francique, mais les références à la musique sud-asiatique ont disparu. À la place, Olivier nous remonte vers la vieille Europe. Orgues et cordes remplacent le gamelan, tandis que les percussions changent de main. Dans les collines boisées, les cornemuses répondent aux cloches des villages isolés. Serait-ce la Champagne ? À travers le rideau de brume, au loin, se dessine la silhouette de la cathédrale de Reims. Mais l'heure n'est pas encore au recueillement. Au contraire, Zwei nous entraîne dans les profondeurs d'un ancien cabaret, où l'opéra romantique rencontre la cérémonie païenne. HEIMAT se mue en un théâtre d'ombres et de secrets où nous scrutent, derrière une rangée de statuettes rutilantes, torche à la main, Armelle et Olivier, officiants d'un rite tout à fait inédit.

À l'instar d'Heimat premier du nom, il n'est pas aisé de décrire simplement le style de ce nouvel album. Les éventuelles étiquettes post-punk, pop ou électro sont de beaucoup trop fourre-tout pour espérer en donner un quelconque aperçu aux néophytes. Des samples et des claviers, jamais trop envahissants, le tout soutenu par une rythmique répétitive, voilà pour la musique. Et puis il y a ce chant, toujours ce chant, troublant, aux paroles nébuleuses, celui d'une Armelle Oberle fière comme une Beate Bartel, ensorcelante comme une Nico. Les ambiances se font aussi plus sombres, tout en s'éloignant nettement de l'exotisme des débuts.

Zwei est cependant un disque qui sait magnifier les ténèbres qu'il fait surgir. Au cœur de l'obscurité rougeoit ainsi la funèbre "Deine Frau", une claque, spleen d'une justesse bouleversante. Approche plus brute, "Ita" et "Tu Miedo" nous entraînent dans une cavalcade électronique, frénétique et glaçante. On est parfois à la limite du mauvais trip, notamment en découvrant les trois courtes pièces "Kàvernié", "La Colline" et "Fin", cette dernière concluant l'exercice au son du glas. "Unterwegs", improbable reggae au milieu des landes, convoque cloches et cornemuses. "Quando", "Baggersee" et "Weisst Du" nous convient aussi au carnaval, farandole de masques et de marionnettes. Trois morceaux en apparence presque allègres, où point pourtant une certaine mélancolie, parfois sur un simple changement d'humeur dans les claviers ou la voix.

Ce deuxième album est une réussite à plus d'un titre. Déjà, il esquive l'inévitable sentiment de répétition qu'aurait provoqué une suite trop évidente au disque précédent. Au contraire, HEIMAT a parfaitement su créer autre chose sans se renier, explorer de nouvelles pistes sans se perdre. Une seule pièce peut décevoir ici, "Die !" et son ambiance anxiogène, certes convaincante mais peut-être trop en décalage avec le reste. Pas de quoi gâcher le puzzle final non plus, œuvre superbe et fascinante, qui prouve que le duo reste une valeur sûre de l'underground français. N'hésitez d'ailleurs pas à aller les voir sur scène, c'est du tout bon. Une chose, encore : on espère juste que le troisième ne mettra pas encore cinq autre années avant de sortir !