Sautecroche est un nom de série d'albums de chansons pour enfants très célèbre en Suisse et, en parallèle, celui d'un projet humain qui reste d'abord à l'initiative de madame Marie HENCHOZ. Native de Château-d'Oex (partie orientale et montagneuse du canton de Vaud – en-dessous de Fribourg et au-dessus du Valais - dont elle est réputée pour être la plus grande commune, même si pas la plus peuplée), connue pour être une personne active dès l'enfance (danses et animations de quartier), cette enseignante 'classique' formée à Lausanne puis à Toronto, Canada, est une vraie musicienne dans l'âme qui a voulu ensuite concilier passion et travail. Retour en Suisse pour des années d'apprentissage musical à Lausanne encore, puis Berne et enfin Genève, du cursus jazz (sa musique favorite) au conservatoire académique, jusqu'à la fin des années 80 où elle obtient son dernier diplôme. Depuis, elle consacre sa vie à l'enseignement de la musique en Suisse romande, mais très vite ne s'est pas contentée du statut de prof ordinaire, même pour le 4ème art !

Marie HENCHOZ (prononcer 'enchau') du Pays-d'Enhaut n'a pas loin de 45 ans lorsque, au début des années 90, SAUTECROCHE voit le jour à son initiative. Elle signe les textes et musiques à partir d'histoires de son propre vécu, enfant comme adulte. Et dans son idée, au-delà de la simple 'chanson kids', style bien défini, elle souhaite garder un but pédagogique pour les bouts de choux, avec une grande base musicale. Jazzeuse avant tout, néanmoins éclectique, cette brave dame veut leur faire écouter 'de tout', que les enfants puissent avoir une de ses compositions en tête et reconnaître le style ou l'instrument lorsqu'ils l'entendent dans une chanson 'normale'. Pour les enregistrements, elle obtient l'aide du musicien-arrangeur Lee Maddeford, natif d'Alaska (Anchorage), pianiste et corniste qui a grandi à Seattle, U.S.A. Lui décide de faire le tour du monde seul durant sa vingtaine d'années, jusqu'en Suisse romande, vers Lausanne où, au début des années 80, il décide pour de bon de s'arrêter.
Pour le côté visuel, si important dès l'enfance également, SAUTECROCHE et ses livrets-CDs bénéficient des illustrations d'Annick Caretti, native de Lausanne elle en revanche, et diplômée de l'école supérieure des Arts de Lugano (grande ville suisse la plus au sud du pays dans le seul et unique canton italien : le Tessin), amatrice du détail qui a aussi réalisé des cahiers de coloriages. Pour finir, le projet a le soutien des éditions pédagogiques LEP dont il reste la poule aux oeufs d'or.

Pour un premier effort dans le genre, paru en 1991, c'est une sacrée réussite. Et un best-seller, avec quelques 100.000 exemplaires réclamés par les familles romanches ! C'est mérité : rien qu'avec "Saute-Mouille la Grenouille", variation sur la fameuse comptine traditionnelle "Il Pleut, il Mouille", on comprend vite le talent de Marie HENCHOZ, on saisit la qualité des arrangements pas-si-bon-marché-bien-que-très-axés-sur-les-claviers de Lee Maddeford. Même si parfois, l'ensemble sonne un peu trop propret, celui-ci ajoute des effets d'instruments à vent en priorité, vrais ou non, du plus bel effet et de façon constante. Le piano Fender Rhodes cristallin, la basse et la rythmique cymbale-grosse caisse créent un léger groove. Les enfants natifs du Pays-d'Enhaut chantent ensemble d'abord, avec leurs approximations naturelles mais sur un ton enjoué. Les rimes avec grenouille forment l'idée de 'préparer des nouilles dans une grande citrouille', quelle efficacité !

C'est avec "Le Kangourou" et ses passages musicaux longs pour deux strophes chantées seulement que l'on se rend compte de l'importance de la musique avec SAUTECROCHE, plus que pour de la chanson pour enfants habituelle. Tandis que le kangourou couvert de poux se gratte beaucoup – "une histoire de fou, de fou !" -, où l'on remarque déjà qu'une voix féminine se détache un peu en soliste, la basse en quartes fait se succéder guimbardes, piccolos, hautbois et basson très inspirés, virevoltants. On sent l'accent suisse poindre sur ces jolies trouvailles chantées, comme pour le petit chat qui n'aime manger ni souris ni rats, plutôt du nougat et du chocolat, avec des accointances jazzy chères à HENCHOZ plus marquées. L'Europe de l'Est et ses danses festives sont à l'honneur pour "L'Ours qui Danse" la polka sur la place d'Odessa, mais l'accordéon revient aussi dans la Suisse si proche de ses origines (autrichiennes) dans les alpages décrits par "La Vache en Hélicoptère" avec tant de ferveur. La fraîcheur de l'herbe des pâturages est aussi un peu, musicalement, celle des marins d'eau douce, lac Léman voire de Neuchâtel.

Outre ces thèmes entêtants, SAUTECROCHE en offre aussi sous la forme de superbes berceuses, notamment celle pour l'oiseau Michka si seul au monde, toute en finesse de voix soliste féminine puis de choeurs sur refrain, de hautbois survolant les pianos digitaux d'une pureté certaine. Autre perle, "Je Voudrais Savoir" est une ballade folk délicate à la guitare, du moins jusqu'aux refrains plus vitaminés, comme les réponses apportées aux questions des couplets sur ce que mangent au petit déjeuner le corbeau (du cacao), l'araignée (du thé) et le poulet (du lait). L'intelligence musicale mêlant flûte, clarinette, basson, trompette, sifflements et influences baroques quand tous se rejoignent à la fin est désarmante. Les textes ont beau être destinés à un public en bas âge (et pas seulement), Marie HENCHOZ réunit formidablement les animaux et les situations les plus anodines dans des tons colorés, si bien que les versions instrumentales pour permettre aux enfants de s'entraîner à chanter chez eux ne laissent pas un goût aussi impérissable !

Le summum est atteint avec ce cher "Pingouin" qu'elle a imaginé le jour même où elle a eu cette musique latino rumba-chachacha en tête, mais en pensant que les deux n'allaient pas ensemble. Ses créations suivant son vécu encore une fois, elle a finalement validé un jour où elle voyageait en Thaïlande, à dos d'éléphant (pas le plus confortable !), se disant que le pingouin voulait fuir le froid arctique pour aller voir les tropiques et ses cocotiers. Finalement malade à cause des fruits et du curaçao, ayant trop chaud avec sa peau qu'il ne peut quitter, il décide de retourner chez lui ! Toute la science de SAUTECROCHE tient en cela, ces percussions et cette mélodie jazz légère et délicieuse, assez recherchée ("un pingouin du Pôle Nord, un beau jour, dit 'j'en ai assez !'", avec un saut de sixte mineure sur ce seul dernier mot s'il vous plaît ! Et puis les "îles Hawa-hi !"), cette clarinette supplantée par le saxophone alto après les refrains. Et ce petit amour de chanson éloignée du pays des coucous et du chocolat Milka demeure le tube immanquable de la formule signée Marie HENCHOZ. Tube de renommée interplanétaire, du moins à l'échelle du côté romanche voire de la frontière helvète dans laquelle tout est compris dans un rayon de 300 km maximum sur une carte - mais un peu plus compliqué d'accès au niveau temps, selon où on va. Et qui gagnerait à être connu en dehors – foi de 'frouzien', oui chers voisins -, comme SAUTECROCHE en général !