Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques. Clair de Lune – Paul Verlaine

Inspiré de la poésie de Verlaine, DEBUSSY compose en 1890 la célèbre suite pour piano en quatre mouvements ; Suite Bergamasque. Celle-ci ne sera publiée que 15 ans plus tard, en 1905. Elle marque un tournant au passage de la musique romantique du XIXème à celle plus moderne du XXème. Une bergamasque est une danse de couple animée et festive originaire de Bergame en Italie et dansée au cours des XVIème et XVIIème siècles. Elle suit la période baroque dont DEBUSSY d’ailleurs s’inspire pour trois des quatre mouvements de cette suite. Libre, ici, il ne suit pas les règles pianistiques traditionnelles, créant une rupture avec le style wagnérien. Il dit vouloir prôner l’âge d’or de la musique française.

Le "Prélude", premier mouvement de la pièce, est joué en fa majeur. C’est une pièce qui apparaît sûre d’elle et confiante, à la fois très joyeuse et contrastée par la douceur de la main gauche dans les aiguës. Elle a des sonorités très baroques avec des suites de notes donnant une ligne mélodique très expressive à la main gauche et une basse continue à la main droite.

Le "Menuet", joué en la mineur, appartient également à la musique baroque mais avec un style qui lui est propre et s’éloigne du menuet comme on le connaît.

"Clair de Lune" est l’une des plus célèbres œuvres du piano moderne, reprise maintes et maintes fois dans la culture populaire. En troisième et avant dernière position, il s’agit toutefois de l’apogée de la Suite Bergamasque. Initialement intitulée "Promenade Sentimentale", un autre poème de Verlaine, elle est, en effet, d’une grande richesse émotionnelle. Paradoxal dans une bergamasque parce que tout en finesse et en tendresse, elle n’a pas de véritable rythme. Elle est jouée en do majeur et en ré bémol majeur. Elle est également la seule pièce où l’on ne trouve pas de sonorité baroque. Jouée pianissimo, elle apparaît hésitante presque maladroite par moment bien que ridiculement belle. Nous pouvons la découper en trois parties.

La première partie, ornée de silences qui fascinent, rappelle la phrase de DEBUSSY lui-même qui disait que la musique est l’espace entre les notes. DEBUSSY crée une ambiance sans suivre les codes pianistiques traditionnels. Dans la seconde partie, les notes s’enchaînent sans véritable structure mais avec élégance et charme. Elle est plus exigeante techniquement. Elle est essentiellement composée d’arpèges et de notes, de croches, de duolets qui s’enchaînent, s’éparpillent et glissent comme des gouttes de pluie. La main gauche descend dans des graves insistants, la lune est au plus haut. Si jusqu’alors nous étions en tonalité majeure, dans la troisième partie, nous avons une harmonie en mineur qui rend l’ensemble plus mélancolique. Le thème du début reprend, tout semble s’apaiser malgré quelques doubles croches persistantes. La fin, plus sûre d’elle, nous offre enfin un sentiment de paix et de plénitude. Le "Clair de Lune" nous berce.

Le quatrième mouvement de la Suite Bergamasque, "Passepied", s’éloigne des codes d’un passepied traditionnel, une danse bretonne. C’est une pièce, comme les deux premiers mouvements, joyeuse, avec un rythme plus rapide et de nombreux arpèges à la main gauche aux sonorités médiévales.

La Suite Bergamasque est peu conventionnelle, elle casse les rythmes, les harmonies, même les codes du baroque tout en en conservant la sonorité. Les phrases souvent inachevées rendent le moment incertain et suspendu dans le temps. C’est clairement "Clair de Lune" qui brille dans cette suite, si beau et sensible qu’il nous ôte les mots de la bouche, on ne sait qu’en dire. On l’écoute et l’on s’y perd. DEBUSSY c’est de la poésie en musique. Libre dans sa manière de composer, il nous offre à nous aussi la liberté d’interpréter cette suite à notre manière.