Ça me fait bien marrer aujourd’hui de me remémorer que j’avais fait la fine bouche en écoutant pour la première fois Loud Hailer, l’avant-dernier album de Jeff BECK. Incapable de composer une chanson si sa vie en dépendait, le plus grand des guitaristes s’était acoquiné avec les deux jeunettes de BONES UK et j’avais trouvé le chant nasillard de Rosie Bones un brin irritant. Sauf que les compos étaient plutôt bien gaulées et que le côté crâneur de la vocaliste s’accordait finalement bien à l’esprit contestataire du projet. Les écoutes suivantes avaient eu raison de mes réserves. Et puis Becko les avait emmenées en tournée et si la guitariste Carmen Vanderberg jouait forcément les utilités derrière le maestro, Rosie en imposait sévère en affichant une présence naturelle et décomplexée. Fin du premier acte.

Acte deux, le duo sortait en 2019 un premier album éponyme et c’est peu dire que ce fut un coup de maître. Les filles y enchaînaient les uppercuts tubesques (« Beautiful is Boring », « Pretty Waste », « Filthy Freak »), c’était frais, moderne, composite (un mariage improbable entre les BLACK KEYS, un NINE INCH NAILS disco sexy période Pretty Hate Machine et une pop un peu allumeuse à la PINK) et mis en son par le petit malin transalpin Filippo Cimatti, troisième membre du groupe déjà aux manettes du Jeff BECK. Et histoire de prouver que les chansons tenaient la route dépourvues des apparats d’une prod béton, le duo sortait un EP Unplugged à se damner avec des arrangements de cordes divins. On manque aujourd’hui de recul mais dans plusieurs millénaires, les musicologues aligneront dans une même phrase Jean-Sébastien BACH et BONES UK.

Troisième acte, BONES UK sort aujourd’hui son deuxième opus après cinq ans d’une attente insupportable. On prend les mêmes et on recommence avec le duo british relocalisé entre-temps à L.A. « Bikinis » joue l’entrée en matière mesurée promise par le titre de l’album avant de laisser la place à « Me » et ses refrains Stadium Delirium. « Won’t Settle » est immédiatement addictive, « Fix » hautement dandinable et « What If I Died » clôt l’écoute de l’album de bien belle manière avec une Rosie plus fragile et touchante. Quant à Carmen Vandenberg, elle confirme qu’elle est une guitariste de grand talent au jeu subtil, économe et à la large palette sonore, aussi bien à l’aise en son clair, en mode abrasif ou sur des arrangements électro.

Soyons honnête, l’effet de surprise a fait long feu, l’enthousiasme lié à la découverte d’un nouveau combo s’est émoussé et Soft marque fébrilement le pas vis-à-vis de son prédécesseur. On concèdera également un bémol au bilan concernant les textes. Les thèmes abordés (l’empowerment féminin, le droit à la différence, la confiance en soi…) sont dans l’air du temps et je ne doute pas de la sincérité de Rosie mais attention aux redites (« Perfectly Imperfect » contre la dictature de la beauté redondante de « Beautiful is boring » par exemple) et aux oppositions systématiques me/you frôlant la caricature (« c’est pas parce que you are me qu’I am you »?). Somme toute, quelques maigres réserves pour ne pas passer pour le fan de service parce que du moins bon de cet acabit, j’en redemande tous les jours.