J’ai beau avoir plus que sérieusement poncé l’album studio, je n’ai pendant près de vingt ans jamais entendu parler de l’existence de cette version live des Motivés. Personne autour de moi ne l’a fait tourner et de nombreux sites de référence ne le mentionnent même pas ; sans doute l’ignorent-ils. Mais il existe. Je suis tombé dessus par hasard en entrant pour une fois dans la belle médiathèque du Périgord. Celle qui conserve les traces du patrimoine régional et qui a donc dans sa collection un exemplaire de cet objet confidentiel. Lorsque je l’ai vu dans le bac, je me suis dit que MOUSS & HAKIM avaient sorti un témoignage de la tournée qu’ils ont faite vers 2018 sous le nom des MOTIVES. Mais non, c’est bien un enregistrement venu tout droit de l’époque originelle !

Enfin pas tout à fait de l’époque du disque puisqu’il y a quand même quelques années d’écart. Le pourquoi du comment, je l’ignore. Je peux juste conjecturer une sorte d’historique. L’album studio a été fait spontanément dans un coin, il a eu besoin de quelques années pour infuser. Cela s’est notamment fait de manifs en manifs, la chanson titre devenant ce classique des cortèges. Alors l’album a été de plus en plus partagé. Parallèlement ZEBDA explosait tout, saturant l'agenda de ses musiciens jusqu'à leur séparation. Ils eurent envie de mener d'autres projets ; c'était en 2003. L’année suivante se montait le spectacle immortalisé par cet enregistrement.

Sans doute la volonté de faire quelque chose sur scène de ces chansons datait de quelques années. Peut-être y avait-il aussi l’idée de donner un point final à toute cette histoire des Motivés, qui avait largement dépassée le cadre musical avec cette liste citoyenne aux élections municipales de 2001. Si le résultat final avait été décevant, cette coda pouvait permettre de conclure par quelque chose de positif. Quoi qu’il en soit, les musiciens présents sur l’album investissent la prestigieuse scène du Théâtre de la Cité avec une chorale pour les accompagner. Décors, costumes, tout y est afin de donner corps à ces chants de luttes, du moins si l'on se fie aux photos présentes dans le livret.

Et du corps, ils en donnent ! Les chansons sont globalement les mêmes que sur le disque d’origine - seule "La butte rouge" n’est pas reprise ici et il y a pour compléter le programme à peine trois morceaux des 100% COLLEGUES. En le mettant dans le mange-disque, je me disais que si je n’avais jamais entendu parler de ce disque c’est qu’il ne devait pas amener grand-chose en plus ; cinquante secondes plus tard j’avais complètement laissé de côté cet a priori infondé. Parce que cette introduction plonge d’un coup l’auditeur dans une ambiance unique. Applaudissements du public comme dans n'importe quel live, avant démarrage de la batterie dans une énergie simple et directe dont se saisissent très naturellement les vocalistes qui entrent ensuite. Puis, enfin, lancement de la chorale.

Et là frissons garantis. Voilà ce que cette version live a en plus : cette dimension collective éminemment palpable. Bien-sûr la musique est très souvent un art collectif. La chanson encore plus. Quel intérêt aurait-elle si elle n’était pas partagée ? Les chants de lutte, je ne t’en parle même pas. Toutefois j’ai rarement entendu cette notion aussi bien incarnée que dans cet enregistrement. Il y a déjà un vrai partage entre la scène et la salle, ça fait la différence. Cette énergie-là est bien enregistrée, elle donne du relief. Il y a aussi les musiciens et les vocalistes qui se relayent sans que l’on sente véritablement que certains soient au service des autres, bien qu’il y ait des éléments moteurs comme dans tout collectif. Ils font les choses ensemble ; là-encore, c’est très bien rendu. Et puis il y a cette foule anonyme qui par son cœur, sa diversité ou encore son enthousiasme, forme ce chœur amenant toute la puissance de ce live, cette lame de fond qui porte immanquablement et qui rend l’enregistrement tout à fait enthousiasmant.

La première partie du disque est pleine d’envie, de vitalité, de joie. Lancée par un "Bella Ciao" chantée à gorges déployées, elle enchaine par les morceaux vitaminés qui m’ont toujours beaucoup plu sur l’album. "El paso del Ebro" est merveilleusement vigoureux tandis que plus loin "Bandiera rossa" ou "La cucaracha" sont imparablement festifs. Mais ce grand mélange fonctionne aussi très bien sur les morceaux moins évidents. "L’estaca" fout les poils tant elle est grandiose tandis que "Le temps des cerises" est belle à pleurer. Bref ce passage sur scène transcende un album studio déjà exceptionnel en son genre. Je ne sais pas pourquoi ce disque live est resté à ce point confidentiel, mais sa découverte fut assurément une bien belle surprise. Comme quoi on trouve bien des trésors dans nos vieilles médiathèques ; vive le service public !