Le Gothique est parfois un petit être tout faible. Il suffit que paraisse un livre sur son mouvement pour que ses ailes de corbeau frétillent à tout-va. C'est donc parfois un petit être tout faible mais également souvent prudent. Par une malheureuse habitude, il sait en effet que les ouvrages en langue française suscitant de l’intérêt sur son genre de prédilection sont plutôt rares. Le dernier en date et de bonne facture, même s'il ne s'attarde que sur l'aspect purement musical, est sans conteste Gothic Rock - Une anthologie en 100 albums de Victor PROVIS. Le corbeau sait effectivement que le plus souvent les approximations, les hors-sujets ne sont pas rares. Loin de moi l'intention de critiquer les productions généralistes. Tout ce qui peut amener à mieux comprendre ce mouvement et pourquoi pas à faire naître une passion est toujours le bienvenu. Est-ce donc le cas de Dark Lands ?

Dès ses premières lignes, et ce n'est pas plus mal d'ailleurs, Sylvain FANET tord le cou aux querelles de chapelle parfois stériles qui peuvent exister. Ce court livre de 192 pages traite "de la face sombre de la mouvance post-punk" et uniquement de celle-ci. Alors, naturellement, il y est question quand même de cold, dark wave, rock gothique, pop froide, mais ces termes apparaissent ici et là plus comme une boussole. Ils ne désorientent justement en rien le lecteur dans son parcours initiatique ou sa remise à niveau. Et je dois d'embléee vous dire que FANET a l'art de la synthèse, nette, didactique et dépourvue d'ennui. Dark Lands suit un plan des plus simples, c'est certain, mais la précision du propos le rend en définitive pertinent.

Même si le format ne se prête pas à un développement façon Mémoires d'outre-tombe, l'auteur ne fait pas l'impasse dans son premier chapitre sur les racines de ce mouvement si riche. Des DOORS à BOWIE, de Mary SHELLEY à BALLARD, de MURNAU à LYNCH, les musiques sombres se sont nourries d'une multitude d'influences. Comme pour tout style musical, les faits sociétaux les ont également façonnées et sont donc succinctement exposés. Une tornade punk comète, la crise économique, la Guerre Froide entre autres qui font que la jeunesse d'abord principalement britannique se cherche des raisons d'exister et n'en trouve pas toujours. Tout ceci pour amener tranquillement le lecteur vers le cœur de l'ouvrage : la musique.

Avec un livre de moins de 200 pages, il est naturellement impossible de faire le tour de la question. Ceci étant, avec l'aide d'internet, il n'y a plus d'excuse valable à la paresse et à la non curiosité. Les albums ainsi que les groupes évoqués par FANET sont cependant suffisamment représentatifs pour que Dark Lands ne soit pas lacunaire. L'auteur articule son propos autour de quatre chapitres chronologiques, chacun étant clôturé par une playlist de 20 à 25 titres qui se révèle être déjà une excellente porte d'entrée pour le néophyte. Le chapitre traitant des membres fondateurs et de leurs albums le plus souvent cultes est naturellement un peu entendu (THE CURE, JOY DIVISION, SIOUXSIE etc.) mais il est naturellement nécessaire pour comprendre les racines de ce mouvement qui a déjà plus de 45 ans d'existence. Le curieux sera sans doute encore plus intéressé par les chapitres suivants qui se démarquent indéniablement.

C'est ainsi agréable, même pour l'habitué, dans le chapitre "Gothic", de faire un arrêt prolongé sur la richesse des musiques sombres des années 80. Si le rock gothique en cuir et l'outrancière batcave théâtrale d'outre-Manche se taillent la part belle, FANET n'en oublie pas pour autant sa petite sœur américaine à travers sa branche death rock malsaine (45 GRAVE, CHRISTIAN DEATH). Une petite discothèque idéale et forcément subjective d'une dizaine d'albums chroniqués donne encore la possibilité d'affiner ses découvertes et de passer outre la multitude de caricatures qu'engendre encore et toujours ce mouvement. Le style fluide de FANET expose ensuite les années 90 qui ont la particularité d'avoir à la fois enterré le style pour le grand public et donné un nouveau souffle au mouvement. L'auteur effectue ainsi un focus pertinent sur la riche scène allemande (DAS ICH) mais aussi française (CORPUS DELICTI) et italienne (THE FROZEN AUTUMN). Il n'est pas non plus inintéressant de souligner comme le fait FANET que le Vieux continent durant cette décennie a dû batailler ferme, bousculé qu'il était par de solides groupes américains aux dents longues, certes, mais au talent indéniable.

Chronologie oblige, Dark Lands se clôt sur le mouvement au nouveau millénaire. C'est à travers ces dernières lignes que l'on se rend compte que, même s'il demeure foncièrement underground, il n'a toujours pas encore dit son dernier mot. Mais cette situation ne doit pas nécessairement créer de faux espoirs. Le genre peine objectivement à se réinventer. Combien de feu de paille et d'éphémère excitation ? Il se fait alors encore plus international, la Russie, la Turquie par exemple entrant depuis peu dans le jeu. Parfois, à l'instar d'INTERPOL ou de Chelsea WOLFE, les murs se craquellent et des projets profitent d'une exposition supérieure à la moyenne, mais ils sont si peu. Je crois en définitive que c'est la courte interview de Mona SOYOC qui apporte un éclaircissement. Tout n'est qu'une question de passion, de feu intérieur. Que ce soit il y a 40 ans avec les légendaires KAS PRODUCT (pensée émue pour SPATSZ) ou maintenant à travers KAS PRODUCT RELOAD, la flamme noire brûle toujours en SOYOC. C'est peut-être ainsi que la face sombre de la New-Wave perdurera.

Dark Lands est indubitablement une belle surprise ! Le livre de FANET s'avère être une solide introduction à un genre qui continue malgré ses hauts et ses bas à garder quasi intacte un certain pouvoir d'attraction et à diffuser ces essentielles émotions noires.