AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Parmi les succès qui ont marqué la fin d'année 2024, L'Amour Ouf n'est pas à négliger dans le milieu de notre bon cinéma français, avec une entrée en beauté au Festival de Cannes. Et tout comme Le Jeu de la Dame ainsi que d'autres romans 'uniques' (même si ce dernier a plutôt inspiré une série), pour changer des sagas, il y a un regain tout aussi notoire pour le roman qui l'a inspiré. En anglais, celui-ci se nomme Jackie Loves Johnser OK?, phrase qui n'est pas si énigmatique quand on connait le roman de Neville Thompson (paru en 1997, traduit en français trois ans plus tard) et qu'on sait qu'il y a plus de parler sans fioritures qu'autre chose dedans, rapport avec le milieu choisi...

À Ballyfermot en Irlande, dans la banlieue de Dublin, Johnser grandit au sein d'une famille nombreuse, avec un père ouvrier absent et irresponsable tandis que la mère se laisser grignoter. Très vite, le garçon se désintéresse de l'école et ne songe qu'à assouvir son besoin de violence, lézarder dehors près de la rivière en compagnie d'autres lycéens dont Jackie, celle qu'il aime éperdument. Tout bascule le jour où il lui force la main pour accomplir leur 'première fois'. Pour garder bonne figure, il se met avec Tara, 'l'allumeuse' du lycée et cherche à impressionner La Brosse, le caïd principal du coin. Mais un jour, une opération se passe mal... Pendant ce temps, Jackie elle, refait sa vie avec Jeffrey, un homme d'apparence bon sous tous rapports, mais Johnser ne l'a pas oubliée, et réciproquement...

Quand Gilles Lellouche, une de nos figures actuelles les plus talentueuses du 7ème art, récupère le récit presque six ans après sa première expérience de réalisateur (Le Grand Bain, 2018), sachant que lui-même tient des origines irlandaises de sa mère bretonne, il opère quelques transformations plus ou moins judicieuses. L'ensemble est déplacé à notre équivalent de villes ouvrières, dans le Nord-Pas-de-Calais, et Johnser en français devient Clotaire. On retrouve, pour celui-ci, François Civil (déjà moins beau gosse que pour D'Artagnan voilà deux ans) ainsi qu'Adèle Exarchopoulos en Jackie, même si la jeune Mallory Wanecque qui l'incarne à 18 ans lui vole quelque peu la vedette. La Brosse est un peu plus secondaire dans le film (qui d'ailleurs ne se finit pas du tout de la même façon que le livre), joué par Benoit Poelvoorde, tandis qu'Alain Chabat campe le père de Jackie.

L'ensemble, long d'une bonne double heure et demie, demeure une franche réussite bien que plus 'sage' dans son développement comme ses dialogues (moins d'argot, pas de Tara ni de viol). Et c'est aussi une manière de parler de la BO plutôt adaptée en termes de style et de niveau. On passera sur l'incursion des morceaux comme ces raps obligatoires ; dans les quartiers populaires des années 90, on en écoutait forcément, même si dix années plus tôt, les ados parlaient plutôt de The CURE, suivant les goûts de filles comme Jackie également. Reste que l'ensemble de la partition originale, pour la durée du film, n'atteint même pas vingt-cinq minutes ! Mais Jon BRION a plus d'un tour dans son sac.

Le compositeur a notamment signé les bandes originales de grands films d'il y a plus de vingt ans, à savoir Magnolia (1999) ou encore Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004). L'Amour Ouf donne lieu à un rythme ternaire orchestral dramatique, un vrai tourbillon de cordes sur lit de cuivres roulants d'où, au bout d'un certain temps, émerge le piano pour une conclusion brève. Belle musique instrumentale que ce thème principal, la violence à peine contenue d'un fils de famille qui craint ses parents (Clotaire), la lumière qui pointe toujours au bout du tunnel et l'envahit, dont se fait l'écho le final de la BO, un rien plus hollywoodien dans son approche.

Jon BRION aime ici particulièrement incorporer des sons cristallins dès "Make Up, School & Flamby" (issu de scènes amusantes entre Chabat papa et Wanecque/Jackie), une belle production ample se dessine, toujours sur un pas de valse légère. Puis la BO joue la carte de ballades en retenue soft, telle cette "First Time, First Eclipse", si agréable malgré quelques instants pianissimo. Les résonances tendues de "Jackie and Jeffrey" (ces personnages qui cachent bien leur jeu !) rejoignent l'idée déjà abordée de musique spectrale, de même que celle de "Clotaire Is Back"

La production, bien que soumise aux exigences de tous lieux, est synonyme de limpidité et de très jolies 'percées' musicales, comme des rayons de soleil, telle cette "Second Eclipe". La "Lionel's Death", rapport à l'un des amis de Clotaire, nous émeut par les réponses doucereuses entre instruments qui coulent vraiment de source. Quant à "Clotaire and Jackie", symbole des retrouvailles tardives et par pur hasard, montre bien ce qui était fait pour durer, comme si le destin l'avait écrit, dans cette histoire mouvementée.

Pour la peine, BRION fait intervenir des sonorités plus pop mais des années 70, avec guitares acoustiques, basse au médiator, tandis que l'orchestre fait preuve d'héroïsme savamment contenu. Une petite perle dont on se délecte d'autant plus qu'elle fait partie des 'longs' morceaux quand la plupart sont courts. En tout cas, en un rien de temps, la bande originale ne fait que nous transporter, à l'image de ce film pas parfait certes mais diablement réalisé et nettement plus intéressant que le premier film de Lellouche. À découvrir, à écouter !