Le premier LP de Hiiro Issiki, 1000 Plateaux, est sorti sur le label Bedouin Records, celui-là même qui a contracté avec son compatriote Ryo Murakami (Deist, Esto, chroniqués sur ce site). Il y a peu d’informations disponibles sur Internet sur le compositeur japonais ; il a notamment composé deux mini-albums sous le pseudo de Jigga (en 2018 et 2019, toujours sur ce label). Selon sa page Discogs, "Le nom de cet album est emprunté au titre du livre homonyme de Gilles Deleuze et Félix Guattari, qui pose une vision scientifique mais provocante de la société et de son développement systématique. La pensée critique et la perception du son sont observées et étudiées dans ce travail qui reflète, peut-être, les aspects les plus sombres de notre optimisme."

Selon la vision de Issiki, "Dystopique ou nostalgique, cette musique parle de notre quête existentielle et la fin dramatique de l’album démontre à peu près la lutte et le plaisir intérieur de ce qu’est la vie". Issiki évoque également s’inspirer des "fréquences sonores captivantes et profondes des bandes-son de films et de leurs atmosphères émotionnelles" et cette précision ne fait que conforter notre propre perception de sa musique tellement l’influence du cinéma est évidente dans celle-ci.

Si nous imaginons que les musiques de Issiki sont réunies dans cet album comme dans l’esprit du livre 1000 Plateaux ("Un plateau est toujours au milieu, il n'a ni début ni fin"), alors leur lecture peut se faire dans n’importe quel ordre car il est composé de manière circulaire, chaque titre pouvant communiquer avec un autre, sauf le dernier, la conclusion "1000 Plateaux" (et cela semble être bien le cas en l’espèce compte tenu de la particularité du titre final avec une jolie mélodie au piano, qui tranche avec le reste).

1000 Plateaux est certes inspiré par la musique contemporaine pour film d’anticipation, mais il est également à la croisée de la noise, de l’expérimental, du dark ambient et du post-club. Ceux qui ont apprécié dernièrement l’album Limen (2022, label Subtext) de KMRU et Aho Ssan pourraient l’apprécier. 1000 Plateaux est un album plutôt court, environ 32 minutes mais, au final, ne vaut-il pas mieux un album court et très bon qu’un album long mais seulement bon ? Avantage : sur 1000 Plateaux je ne vois rien à en soustraire, ce qui compense sa durée un peu juste.

Issiki, d’entrée de jeu, nous plonge dans des atmosphères cinématographiques hantées qui donnent le la atmosphérique sur le court "Blurred" ; avec ses nappes froides et ses grésillements, ses couches de drones, le décorum semble futuriste, sombre, urbain, oppressant et technologique. Une autre plage courte dans un style similaire, "Qualia from a Complex", sait capter de manière fascinante, en 1’30, ce qui fait l’essence de ces films ou animés, parfaitement adaptés à la mentalité japonaise d’après-guerre (Akira, Ghost in the Shell…)

Côté mouvements, la puissance ‘percussive’ de "Socialnetics" est relancée à mi-course par des élans orchestraux grandiloquents dignes de scènes d’action de films à grand spectacle. Bien plus inquiétants sont les martèlements de "Neutrals", la cadence et la tension augmentant et au fur et à mesure que le titre se déroule.

Le côté ‘deconstructed club’ se ressent sur "Katto" où une ‘mélodie’ en filigrane est défigurée comme si elle était passée au papier de verre gros grain. "Unexplained" est un des titres les plus noisy, avec "For Language to Come" et "Trisolaris", et vomit à intervalles réguliers des flots de grésillements. "Body without Organs" est un joli titre qui fait plus penser à une musique de ‘film credits’ (closing credits / end credits), parfois très travaillée dans certaines productions. Le titre central de l’album est sans conteste le single "For Language to Come", parcouru par des oscillations grinçantes mêlées à des textures grésillantes dans une pénombre installée par un orgue maigrichon et livide.

1000 Plateaux peut être une bonne alternative aux BO traditionnelles ; noisy, ambient, expérimental, abrasif, avec une personnalité propre, il a tout pour s’en démarquer tout en conservant leur idée principale. L’album est toujours attachant dans le temps ; en ce qui me concerne il me fait régulièrement du pied et repasse dans mes moments ‘ambient’ et Dieu sait que des albums d’ambient j’en ai un petit paquet.

Note : 3.75/5.