Functional Designs voit l’américain Rod MODELL aborder des contrées plus sombres qu’à l’habitude. On le sait, l’immersion dans des atmosphères nocturnes est devenue presque consubstantielle au dub techno ; on ne compte plus le nombre d’albums avec des pochettes représentant des villes plongées au cœur de la nuit. Sans doute parce que cette musique, proche de l’ambient, en jouant sur le delay (ou écho), a plus de facilité à retranscrire des visions d’espaces vides, laissés inoccupés alors qu’ils étaient auparavant bondés en pleine journée ; tout ceci reste cependant très théorique puisqu’on sait que les mégapoles comme New York ou Tokyo ne s’arrêtent jamais vraiment de vivre et prolongent souvent l’activité du jour jusqu'à tard dans la nuit.

Alors, pourquoi les villes ont-elles la préférence de cette musique ? Peut-être aussi parce qu’elles sont un terrain de jeu idéal ; les échos y rebondissent plus facilement contre les murs des façades alignées, se propulsent plus aisément le long des structures bétonnées, des immeubles de grande hauteur aux baies vitrées, et s’engouffrent avidement dans les tunnels et passages étroits, comme aspirés dans un syphon.

C’est en tout cas toujours l’esprit de Rod MODELL que de parcourir les rues sombres ou éclairées de nos villes. Saluons, au passage, l’habitude prise par MODELL de nous régaler avec un livret de photos artistiques des endroits qu’il visite. C’est toujours une attention délicate quand on en voit d’autres se contenter du minimum syndical. La musique n’est pas qu’un fichier de données audios, la pochette ne sert pas qu’à envelopper un disque pour le protéger. Le choix de l’artwork donne une identité à l’œuvre, elle en unifie le contenu par un choix visuel irrévocable. La musique étant impalpable, le livret est, de son côté, une occasion donnée d’appréhender ce qui a précédé le travail de forge de l’artiste.

Sa musique nous propose de déambuler une nouvelle fois dans des environnements nocturnes ; sa techno minimale est encore agrémentée par le field recording, par la captation de certains bruits des environnements visités. Par exemple, "Amber", qui ouvre cet album, est un joli travail avec des grésillements qui se font pluie, ou inversement.

Côté versant obscur de l'album, on trouve quelques pépites : "Pressure" est une plongée dans une machinerie industrielle d'où la pression s'échappe constamment par des tuyauteries; on lorgne ici du côté de la progressive techno du terrible album de MONOLAKE, Momentum. "Strangers" a un penchant sombre pour les vieux édifices abandonnés et hantés et là aussi le pattern rythmique est irréprochable d'efficacité. "Darkness Falls" porte bien son nom et nous embarque du côté de la plage, mais les bruits métalliques qui résonnent nous disent toutefois que nous sommes à proximité de décors bien vides.

Côté rêveries irréelles, "Memories" pourrait évoquer la musique d'une boîte de nuit que l'on entend au loin, et cela ressort mieux au casque que sur des enceintes. J'en profite pour préciser que l'expérience sonore, l'appréhension des sons n'est pas identique selon que l'écoute se fait au casque (de qualité, il va sans dire) ou sur une chaîne hi-fi. "Panacast" semble transporter des effluves de musicalité orientale sorties du Fourth World, Vol. 1 : Possible Musics de HASSELL. Mais est-ce notre imagination qui nous joue là aussi des tours ? Le dernier "Drassanes" semble être ce qu'il reste d'un démembrement d'une chanson pop, ce qui confère à ce titre une belle musicalité pour de l'ambient.

Côté versant chill out, on a tout le reste; notamment "Ebb & Flow" nous ramène vers l'inégalé Liumin, ses vagues de textures granuleuses et ses longs échos. Les atmosphères de "Sun" nous enveloppent de leurs textures comateuses et "Cloudsat" nous plonge en pleine léthargie.

Functional Designs s'avère être un des meilleurs albums de DEEPCHORD. Ceux qui apprécient les pièces obscures se régaleront car Rod MODELL a clairement osé s'aventurer vers le côté sombre de la dub techno. Néanmoins, ce dernier album n'atteint pas encore le sommet que constituait Liumin.

Note : 3.75/5.