Send A Prayer My Way, c’est le fruit d’une belle amitié entre Julien BAKER et TORRES (Mackenzie Scott de son vrai nom), deux autrices-compositrices-interprètes américaines dont la musique est à la recherche d’authenticité. Paru ce printemps 2025, Send A Prayer My Way montre des similitudes dans l’intensité de ce duo de voix queer du rock indépendant, mais si leurs styles respectifs sont souvent apparentés, ils divergent également sur un bon nombre d’aspects, aussi bien dans la forme que dans le ton.

On retrouve la native de Memphis, Julien BAKER, aux manettes du single "Dirt", le morceau d’introduction de l’album, centré autour de sa voix fragile. Comme souvent, sa musique est nourrie de thèmes dévastateurs et "Dirt" n’échappe pas à la règle, c’est une confession douce et dépouillée sur la dépendance (Spend your whole life getting clean/Just to wind up in the dirt). C’est BAKER qui porte une bonne partie du titre, en jouant du piano, du banjo et de mandoline, mais aussi bien sûr son instrument de prédilection, la guitare pour un résultat folk profondément émouvant qui vise la simplicité, malgré des sonorités country amenées par le violon et la pedal steel guitare.

On entendra cet instrument typique de la musique country dans la majorité des titres de l’album. Des guitares, vous en trouverez dans tous les sens mais elles ne sont jamais tapageuses. J’aime beaucoup l’ambiance très Sud des Etats-Unis dans le morceau "The Only Marble I’ve Got Left" où l’on retrouve le registre plus grave et affirmé de TORRES. Quand Julien murmure ses failles, TORRES les revendique avec force. L’équilibre est assez parfait et les harmonies entre les deux chanteuses sont, d’une manière générale, toujours de très bonne qualité comme sur le rythme pop léger et les violons country du single "Sugar In The Tank". La batterie bat plus fort que sur d’autres titres, tout comme cette fusion des voix et de la créativité de BAKER et TORRES.

Ce chant à l’unisson les ancre dans une assurance qui fait évidemment beaucoup penser au travail de Julien avec son groupe BOYGENIUS, que ce soit sur la chanson folky-ambient "No Desert Flower" qui fait rêver avec son grain éthéré ou encore sur l’instrumentation clairement plus country-rock de "Tape Runs Out". Ici, la gravité voilée de TORRES vient soutenir la délicatesse tremblante de BAKER et les violons viennent eux aussi raconter leur histoire, comme s’ils devenaient une troisième voix.

La basse se fait plus présente dans le superbe titre "Off The Wagon", interprété par BAKER, dont j’aime beaucoup les textures poreuses de guitares électriques et le côté plus minimaliste de l’instrumentation. C’est certain, j’accroche plus aux chansons menées par Julien, souvent plus contemplatives comme "Downhill Both Ways" ou "Showdown", avec leurs orchestrations épurées et aériennes. Les singles sont plutôt bien choisis : j’aime la batterie marquée de "Sylvia" que TORRES chante en hommage à son chien, les jolis violons de "Bottom Of A Bottle", par contre j’aime beaucoup moins "Tuesday" qui ne me parle pas du tout, ni dans le chant, ni dans les paroles, ni dans l’instrumentation…

Il faut dire que la voix de TORRES est plus passe-partout et même le titre final, "Goodbye Baby" qui bénéficie pourtant des harmonies filantes de BAKER, est sympa mais sans plus. C’est dommage car pour moi c’est une petite déception ; l’amitié et les arrangements pensés avec une précaution infinie ne suffisent malheureusement pas pour me transporter. Hormis quelques jolis passages qu’on voudrait s’efforcer de retenir, le frisson ne vient jamais sur Send A Prayer My Way. Cette country-folk feutrée et timide reste trop réfléchie, à tel point qu’on a l’impression que BAKER et TORRES nous tiennent à distance, loin de toute aspérité. Alors oui, les guitares glissent et ce n’est pas un mauvais album mais j’en attendais davantage et là, rien ne vient. BAKER et TORRES c’est sans aucun doute une belle rencontre, mais c’est un échange qui ne va décidément pas au bout de son potentiel.