NÓRD demeure peut-être un des seconds couteaux du rock français, mais il fait partie de cette catégorie de noms à ne pas oublier. C'est un groupe d'amis ceint dans la petite couronne parisienne, toutefois il n'aurait pas acquis son rang culte sans le bonus constitué par la personnalité de son chanteur et décideur : Stéphane Grangier De La Marinière. Son parcours est d'abord celui d'un ado rebelle qui se met à la musique pour plaire un peu plus aux filles et déplaire tout autant aux parents, en commençant en autodidacte vers l'an de grâce 1993 dans un groupe de reprises de rock garage/acid, VELVET UNDERGROUND, MC5 etc. Il est propulsé chanteur, moins par ses capacités que sa puissance à la Jim MORRISON, mais cela reste médiocre et au bout de quelques temps, les reprises l'ennuient.

En composant, il trouve vite ses marques, d'autant plus que dans la tradition des grands chanteurs comme BARBARA, Jacques BREL, Léo FERRÉ qu'il admire, c'est d'abord le texte qui compte et ensuite la mélodie par lequel on l'habille. Ainsi, il va développer son univers d'un 'rock en français' comme il tient à le dire, avec cette démarcation obligatoire des Anglo-Américains côté création. Tout en démarchant auprès des maisons de disques, il réalise nombre de premières parties de concerts dont, au fil du temps et ensuite avec NÓRD, le palmarès sera plutôt 'énorme', inattendu et diversifié, en commençant par HAWKWIND, puis pêle-mêle, Bob DYLAN, Lionel RICHIE, DEPECHE MODE, ALICE COOPER, The CRANBERRIES.

Avant le premier de NÓRD, il y avait eu un album solo en amateur et sous un autre nom. Ce nouveau projet a connu une gestation certes amicale et optimiste mais également chaotique, entre la chambre et l'enregistreur portable d'un côté et les studios en mode éclair de l'autre. Néanmoins, si J'écoute en Silence, distribué par Artsonor, sonne aussi uni dans l'adversité et mérite son rang de premier album parmi les meilleurs de l'histoire de la chanson (rock) française, c'est grâce à l'ingé son anglais Steve Prestage. Il est affilié à Artsonor et possède un CV assez éloquent : NEKTAR, CARAVAN, Gino VANNELLI, XTC, JAPAN, Peter GABRIEL etc, mais aussi en France, PARTENAIRE PARTICULIER, SATAN JOKERS, DESIRELESS, ENZO ENZO et MALICORNE/Gabriel YACOUB !

Ce fameux premier disque pose déjà une ambiance forte, résolument noire, entre poésie organique, critique sociologique et anticipation tendance apocalyptique. Sans oublier quelques références à Paris bien sûr, pour renforcer l'identité sans que ce soit systématique pour autant. Sur "La Noyée", cette bonne vieille Seine prend vraiment des airs de Styx, le fleuve des âmes mourantes qui conduit au royaume d'Hadès/Pluton. Un des morceaux qui nous captive, comme tous ceux placés au début de l'album, même si lui plutôt sous le signe du groove dès qu'il est vraiment lancé. Pour "Le Jour se Lève", c'est un rock gras tendant vers le hard/metal et réverbéré tandis que notre bon chanteur Stéphane aligne les paroles angoissées.

Tout dans la gorge en versatilité, il fournit une prestation de dingue sur le morceau-titre "J'écoute en Silence", passant du quasi-lyrisme d'opéra à un growl aigu de la fin du refrain et des voix d'outre-tombe qui ne sont pas sans évoquer le black-metal, avant de finir par des invectives de prédicateur funeste, alors que Paris se transforme en véritable film de catastrophe ou pas loin de le devenir. Et que dire de "Ô Sang" qui porte bien son nom, façon Charles Baudelaire en plus gore, avec la nostalgie d'une époque où le futur était encore envisageable, avec cette rupture pop mi-world mi-planante qui n'est pas sans évoquer SIMPLE MINDS ? Juste après, pour "J'attends" et son folk-rock épique, c'est à NOIR DÉSIR que l'on pense. En quelques morceaux, NÓRD est passé de style en style parfois brièvement, mais sans qu'on trouve rien à redire parce que c'est trop bon !

Plus l'album progresse cependant, et plus celui-ci choisit de s'en tenir à du pop-rock enrichi dans le son comme la composition ; certains parmi les derniers titres sont moins stimulants comme "Défends-Toi" ou "Et Bientôt". La qualité demeure toutefois, époustouflante pour un début encore une fois, et si les guitares de Stéphane G. avec pour alternants Tom Cahn et Christopher Soto auxquelles s'adjoignent les basses de Pascal Mulot et Jérôme Soffietti sont impressionnantes, la batterie de Benjamin Bahsief et le violon électrique de Sébastien Perron ne sont pas en reste, d'autant plus avec la puissance apportée des samples mélodiques et autres loops. À se demander comment "C'est la Nuit" n'est pas devenu un tube pop noire et grasse plus loin que ce qu'il pu au-delà des frontières de l'Hexagone !

Dans une moindre mesure, il y a "Lara", avec quelques phrases en anglais lui aussi de France, et puis tout de même, alors que nombre de titres ("Astéroïd", "Va au Diable"...) se font critiques sociologiques, "Le Deal" avec son portrait au vitriol de l'industrie du disque a eu de quoi marquer les esprits (avec sa voix lointaine, Stéphane G. joue bien les bureaucrates). Quant à "Sous le Soleil" et son blues ternaire couleur onyx, c'est également un des clous de l'album, rien que pour ce solo de guitare stridente à la fin. Et ce qui est certain, c'est qu'avec le soin apporté aux textes autant qu'aux mélodies, le principal intéressé et sa défense pour le français n'ont aucunement à rougir ici, ni ailleurs ensuite. C'est grand, c'est abouti, c'est NÓRD.