I Want You… pouvait-on trouver titre plus explicite pour une œuvre parlant de désir, d’érotisme et de sexe ? Ce troisième album de l’âge d’or de Marvin GAYE est un moment fort de sa carrière, un disque à l’histoire particulière aussi.

I Want You est une œuvre composée par Leon WARE, artiste multi-casquette de la Tamla Motown et proche de Marvin. Un Marvin peu productif mais fin diplomate qui convainc WARE de lui donner ses chansons et lui offre le siège de producteur. Artistiquement, I Want You est bien l’œuvre de deux hommes, GAYE s’appropriant les compositions de WARE pour leur insuffler sa vision. A cet égard, il est intéressant d’écouter l’album que WARE réalisera sous son nom quelques mois plus tard, le très explicite (lui aussi) Musical Massage, à la trame similaire mais au rendu différent.

Musical Massage possède une section rythmique presque funk, recourt aux chœurs féminins et s’approche par moment d’EARTH WIND & FIRE. I Want You est plus aérien, plus fin, plus… irréel. WARE reste au niveau charnel tandis que GAYE on le sait, met beaucoup plus dans son interprétation ; cette flamme intérieure empêche I Want You d’être totalement un disque de l’assouvissement mais lui donne aussi une dimension supplémentaire. Même si la possession de l’autre est explicite (« Since I Had You ») elle a toujours un parfum d’inaccompli, de fantasmé. WARE est dans le plaisir, GAYE dans le désir, et en cela le titre des deux œuvres est plutôt bien choisi.

L’emploi des cuivres rend ce disque assez jazzy. Les deux hommes sculptent un son particulièrement riche, nourri d’influences diverses comme le funk et le jazz donc, mais aussi la bossa nova (« Soon I’ll Be Loving You Again »). La rythmique est plus ronde, plus chaloupée. I Want You est un formidable disque de danseurs sorti peu de temps avant la déferlante disco dont il anticipe quelques aspects (la plage titre en trois parties) tout en restant précieux et élégant. Marvin assure tous les vocaux grâce à l’overdub et son travail sur les arrangements atteint son zénith. Ce disque marque enfin l’introduction du synthétiseur dans la musique de GAYE dont les notes perlées coulent comme du miel sur « After The Dance ».

Voilà pour la musique. Le scénario lui, est vieux comme le monde ; un club, des âmes solitaires, de la musique… il fait chaud. Les deux protagonistes sont là. Ils se voient, se plaisent, s’approchent. Du premier regard à l’irrésistible dénouement, le disque égrène chaque scène comme autant de paliers du désir. I Want You est un véritable petit film, avec ses séquences, ses interludes et ses flashback. Sur le LP, la soirée prenait fin avec la première face, puis nos deux partenaires remettaient ça en face B. Le CD est décidément l’affaire des gens pressés.

Musique pour les jambes, musique pour les yeux aussi. La magnifique peinture d’Ernie Barnes avec ses tons et ses courbes rend compte de cette chaleur, de cette ambiance, même si je la trouve un peu trop animée pour un disque centré autour du couple. Toujours est-il que cette fresque marque une rupture dans les pochettes de Marvin et donne à son thème une dimension plus universelle.

Cinéma, danse, peinture… I Want You effleure les arts autant que nos sens et je vous invite à le constater par vous-mêmes. Pour en revenir à Leon WARE, Musical Massage n’aura qu'une piètre promotion et restera longtemps un disque pour initiés. Le temps a passé et l'œuvre est depuis réhabilitée à sa juste valeur.