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2003 Enemy Of The Enemy

ASIAN DUB FOUNDATION - Enemy Of The Enemy (2003)
Par DARK PANDA le 19 Novembre 2010          Consultée 3346 fois

Ouahou, la claque ! Du hip-hop mélangé à du rock, avec de la drum'n bass, du ragga, de la musique électronique et du dub, vous aviez déjà entendu ça ? Non ? Alors foncez écouter ASIAN DUB FOUNDATION, ils l'ont fait pour vous. Et nom d'une pipe, que c'est bon ! Non, vraiment, ça ravage le cerveau et débouche d'un coup les oreilles. "Fatch!", comme on dit chez nous en Alsace !
Bon euh, alors c'est quoi ADF ? En fait, c'est compliqué. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a (au moins) un noyau central de six trublions, rassemblés avec leurs diverses influences au sein d'un groupe, qui accouche d’une musique explosive et multicolore, notamment sur ce fameux Enemy Of The Enemy. Ça groove grave et dans tous les sens, à grand coup de riffs énervés, de percussions bigarrées et de mixages échevelés, sans oublier le chant rapé tout à fait brillant des artistes anglais. Franchement, c'est bien foutu.
Pour décrire un peu la galette, il faut employer les termes de rage et de grâce (je sais, j'utilise ce dernier dans toutes mes chroniques ou presque... que voulez-vous, mon vocabulaire est pauvre, très pauvre). La rage et la grâce, disais-je donc, deux sentiments, deux attitudes, deux musicalités à travers lesquelles transparaît sûrement le mieux la passion des notes. Car qui dit grâce dit virtuosité, et qui dit rage dit efficacité ! Deux adjectifs qui définissent parfaitement cette petite galette pleine de rythmes ébouriffants et d'instruments en fusion.

Le skeud commence très fort avec "Fortress Europe" : un air asiatique sur-vitaminé, une incantation hip-hop, puis un incendie au rythme jungle, parcouru de sonorités électro futuristes. Un chant rapé polyphonique et énergique recouvre rapidement la musique, qui en devient plus frénétique encore. La fin de la première strophe est accueillie par les riffs d'une guitare électrique, avant que le tout ne reprenne pour une seconde bataille. Pas le temps de s'ennuyer, un changement de rythme brillamment exécuté plonge le morceau, au bout de deux minutes seulement, dans une parenthèse ragga perforée par les paroles appuyées - et aux consonances résolument jamaïcaines - d'un des musiciens. Un premier voyage soudain et jouissif, qui nous prend à la gorge.
"Rise To The Challenge" déboule juste derrière et renoue, après une subtile intro tam-tamée et électronisée, avec un hip-hop polyphonique. A la suite d'un puissant crescendo vocal, la rythmique abstract-hip-hop/jungle s'étoffe d'une onde de guitare électrique proprement rock, avant que le tout ne s'arrête dans un break, d'où s'extirpent de solitaires percussions aux influences africaines. A travers une poignée de notes originales et en quelques secondes seulement, ADF a donc réussi à amener l'auditeur vers son alchimie instrumentale, qui est au cœur de chacune de ses compositions : on se rend compte qu'un fougueux chant hip-hop a tapissé de la musique ancestrale (les tamtams), du rock (la guitare électrique) et une jungle électro furieuse (le rythme principal). Et on se dit merde, ce que je viens d'écouter est à la fois complètement barré et magistralement bien foutu !

L'allégresse ne s'arrête pas là. Troisième titre de l'album, "La Haine" débute par la mélodie enthousiaste d'une guitare électrique, rapidement remplacée par un tapis électronique et le traditionnel chant hip-hop. Tandis qu'on retrouve plus loin les tamtams esquissés sur les deux premiers titres, on comprend que tout l'album va se poursuivre dans cette veine déboussolante, dans laquelle les styles et les instruments ne cessent de s'associer, avec virtuosité, n'oubliant jamais la mélodie irrésistible qui transforme chaque pièce en délice musical.
Et on se trompe à moitié en établissant ce constat, car le quatrième morceau d'Enemy Of The Enemy, "1000 Mirrors", explore les méandres d'un genre source, pas si éloigné mais résolument différent, à savoir un dub paisible et velouté. On avait la rage dans toute sa pureté sur les trois premières pièces de la galette, on a désormais la grâce dans toute sa splendeur à travers ce quatrième morceau, à l'instrumentation sublime de profondeur (les échos envoûtants d'un clavier ou d'une batterie) et au chant aussi fragile que lyrique (interprété par l'irlandaise Sinead O'CONNOR). Autant berceuse qu'hymne dub, "1000 Mirrors" obtient une double victoire : elle apaise d'un coup la fureur de l'album après des débuts plus que fracassants, et ajoute un nouveau style particulièrement riche et prodige à la palette des artistes d'ADF.

On pourrait continuer avec la description de tous les titres, mais l'entreprise se révèlerait peu intéressante : les morceaux suivants d'Enemy Of The Enemy brillent effectivement de la même qualité musicale, alors passons rapidement à l'autre grand intérêt du skeud, à savoir ses textes. Car ADF ne se cantonne pas à chanter de manière géniale, (re)donnant au hip-hop ses lettres de noblesse et une envergure universelle. Les membres du groupe composent en outre leurs chansons dans un réel souci politique et citoyen. S'ils ne rechignent pas - et c'est aussi leur force - à réaliser des titres aux paroles uniquement joyeuses et à la musicalité soignée ("Rise To The Challenge", ou l'apologie du rythme et de la rage d'exister par la musique : "Feel the rythm and its healing remedy [...] Turn negative to positive with a natural vibe"), ils parcourent surtout la majorité de leurs titres de contestations pertinentes, tissant un constat souvent dramatique de nos sociétés occidentales et de l'état du monde en général. Un pari qui pourrait relever d'une certaine arrogance ou d'une forme d'excuse musicale puisque le hip-hop, comme le veut sa tradition et son histoire, sert surtout à dénoncer. Mais ici l'entreprise est très intéressante, car exécutée avec beaucoup d'intelligence et d'optimisme : le texte de "Fortress Europe" pose ainsi les bases futuristes d'un nouvel ordre européen où le peuple, confiné au sein d'un continent-prison, est confronté à des patrouilles de robots qui le contrôlent. Cette contre-utopie permet à ADF de remettre en cause le système et d'appeler le monde à un réveil salutaire contre toute forme d'autoritarisme ("Keep banging on the wall of Fortress Europe [...] "People get ready it's time to wake up"). "La Haine", quant à lui, reprend les thèmes du mythique film de Mathieu Kassovitz - auquel le morceau rend hommage - et compose une réflexion sur l'escalade de la violence, la ghettoïsation et le sentiment du non-droit ("Now you're the judge, the jury and the executionner sealing his fate, You're feeling the hate").
On pourrait là aussi poursuivre cette analyse, tant les titres regorgent de thématiques : la violence domestique sur "1000 Mirrors", la répression policière sur "19 Rebellions" - dont les paroles, traduites du brésilien, évoquent le massacre par la police militaire de 111 détenus à Sao Paulo en 1992 -, le danger paradoxal des services secrets sur "Blowback" - terme de la CIA derrière lequel se cachent les "opérations secrètes aux conséquences involontaires" -, ou encore "la mélodie d'ADF pour l'anti-mondialisme" qu'est "Basta", selon les mots mêmes du groupe.

Au final, Enemy Of The Enemy constitue donc une réussite musicale et textuelle totale. Mêlant avec habileté de nombreux styles différents, il constitue une œuvre démesurée qui semble ne se fixer aucune limite, se servant même, avec bonheur, des influences les plus lointaines à travers ses percussions africaines ("Rise To The Challenge" et la plupart des autres titres) ou encore ses mélodies hindouistes et asiatiques ("Fortress Europe", "Dhol Rinse"). La virtuosité des compositions ne s'arrête pas là, d'ailleurs, puisque les textes mis en musique ont un objectif réel, celui de rendre compte d'une époque et d'inciter les citoyens du monde, non pas à bêtement se révolter, mais à regarder bien en face leur société. Et d'y faire face, avec ce que cela suppose de droits et de devoirs.
Par sa musique et son écriture, Enemy Of The Enemy représente aussi, forcément, l'esprit d'ADF. Un esprit au parfum enivrant d'indocilité... et donc de liberté. Rien à dire, ça fait toujours du bien aux oreilles et à l'esprit.

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   DARK PANDA

 
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- Dr Das (basse, programmation)
- Chandrasonic (guitare, chant, programmation)
- Sun-j (programmation, mixage)
- Pandit G (programmation)
- Rocky Singh (batterie)
- Prithpal Rajput (dohol, tabla)
- + Une Pléthore D'invités


1. Fortress Europe
2. Rise To The Challenge
3. La Haine
4. 1000 Mirrors - Avec Sinead O'connor
5. 19 Rebellions
6. Blowback
7. 2 Face
8. Power To The Small Massive
9. Dhol Rinse
10. Basta
11. Cyberabad
12. Enemy Of The Enemy



             



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