Marchant péniblement entre les crêtes rocailleuses que tutoyaient des nuages vagabonds, le Voyageur s’arrêta un instant, tourna les talons et inspecta la distance parcourue. Au travers de la masse nocturne, il devina la lueur de son lointain foyer, posée sur les horizons telle une lanterne mourante à la merci des ténèbres omniprésentes. A cette vision il fut soudainement terrassé par une angoisse insupportable. Ses lamentations n’eurent comme témoins que les nuées nomades tailladées par les sommets rocheux. Quelques minutes plus tard, le malaise s’était évaporé. Il se releva et poursuivit son périple ésotérique…

Vous allez vite comprendre le lien entre cette brève parabole et l’album dont elle introduit la chronique, mais laissez-moi d’abord vous présenter Benn Jordan. Il s’agit d’un talentueux musicien multi instrumentaliste qui devint avec le temps et du talent une figure de proue de la musique électronique, s’inscrivant dans le courant IDM (« Intelligent Dance Music »). Vous le connaissez probablement sous le nom de The Flashbulb. Il s’est toujours affirmé dans une musique très rythmée, presque nerveuse sans toutefois perdre de vue une certaine cohérence mélodique. Mais Pale Blue Dot met en exergue une nouvelle corde de l’artiste qui s’illustre cette fois dans la musique d’ambiance.

Pale Blue Dot est un hommage à l’astrophysicien Carl Sagan et à son ouvrage inspiré par la célèbre photographie éponyme prise par la sonde Voyager 1 montrant notre chère planète Terre vue depuis 6.4 Milliards de kilomètres. Un point de vue qui fait réfléchir si j’ose dire car on y voit le fameux point bleu pâle perdu au milieu de l’immensité cosmique.

L’album est composé de 18 plages s’enchaînant sans interruptions à l’image d’un Dark Side Of The Moon ; chacune possède sa propre atmosphère renvoyant à divers états émotionnels (l’angoisse, la solitude, l’espoir…) ce qui lui donne malgré son côté glacial un aspect très humain. Pale Blue Dot est paradoxalement proche de vous, il vous comprend et vous accompagne dans vos troubles.

La musique est rendue très communicative par de longues nappes mélodieuses ornées d’un incalculable nombre de détails parfois à peine audibles, ce qui m’amène à relever une production tout bonnement phénoménale comme le témoignent les touches de piano cristallin introduisant l’œuvre d’une atmosphère tout à fait singulière, une oppressante respiration bionique (7) ou des parasites interférant une fragile transmission radio (15). L’album évolue entre les nébuleuses translucides et lunatiques et atteint des profondeurs limbiques stupéfiantes par une recherche sonore ingénieuse et millimétrée (9, 10 et surtout 11). Mais par delà l’aspect léthargique de l’ensemble, on notera la présence de boucles répétitives qui serviront de support à des nuances aussi subtiles que diversifiées (3, 17).

Pale Blue Dot commence dans l’incertitude et se termine dans la sérénité, mais entre les deux se trouvent une pléiade d’états à découvrir, l’un d’entre eux vous correspondra forcément. Inutile de m’égarer dans une description détaillée, c’est une expérience à écouter avec attention. C’est un puits vertigineux, une perfusion de morphine, un saut de l’ange, un voyage…