Face de cul, cordes vocales atrophiées, paroles affligeantes, comment ne pas détester Benjamin au départ ?

Avant ce premier album, le lyonnais se fait d’abord remarquer en tant que parolier, car c’est lui qui aménage le fameux Jardin d’Hiver de Henri Salvador en 2000. Voilà qu’un an plus tard, son album concept tournant autour de Rose Kennedy, la mère de JFK (et d’autres chanceux…), atteint les bacs par le truchement de Virgin.

Le recueil s’ouvre par une introduction de piano imparable, et puis, grand dieu, cette voix sourde détestable. Combien le rejet envahissant toute le corps des premiers auditeurs a dû être puissant ! Mais comment a-t-on osé produire un si piètre chanteur ? Que fait la police ? Chéri passe-moi le fusil à pompe ! Etc etc etc… Les plus durs à cuire d’entre eux seront peut-être parvenus au troisième titre, « Les Cerfs Volants ». Un des morceaux marquants de l’album. Vraiment ? Non mais lisez-moi ces rimes d’un niveau CP !

Mais alors qu’est-ce qui sauve Rose Kennedy ? Et bien tout simplement ce qui sauve la carrière entière de Benjamin, les petits loups : un réel et rare talent de compositeur. A coups de pianos nostalgiques (« Novembre Toute L’Année »), de jazz lascif de « La Mélodie Du Bonheur » ou encore d’ « Un Eté Sur La Côte », d’envolées (les violons à chialer de « La Monotonie », les cuivres funestes de « Los Angeles », le refrain sur « Les Joggers Sur La Plage »).

Déjà, le compositeur interprète envisage l’objet comme un album formant un bloc, et pas seulement un recueil de chansons apposées les unes à côté des autres. L’outro de « Les Joggers Sur La Plage » reprend les lignes de piano de « Novembre Toute L’Année », plusieurs samples de films américains de l’époque sont utilisés. Biolay est tout sauf un sagouin, il construit l’univers de ses albums avec beaucoup de recherches et de précisions. Tout sauf pop.

C’est après avoir traversé cette étape de reconnaissance que l’auditeur, changeant, commencera à comprendre l’écriture de Biolay, saisir tout le raffinement de son écriture, pardonner ses apparentes facilités, les tolérer en tant que figures de style, peut-être. Passer outre le manque évident de talent de chanteur, préférer saluer la cohérence d’un bourdonnement vocal et la nostalgie latente de l’album, transpirant une Amérique des fifties/sixties fantasmée.

Elle le sera aussi sur l’album suivant, Négatif, encore meilleur. Cohérent je vous dis.