Depuis quelques années (décennies ?), une tendance se confirme inexorablement : le blues devient un genre ennuyeux. Chaque année, on prend les mêmes et on recommence. Duke Robillard et Popa Chubby sortent gentiment le même disque depuis quinze ans, Keb Mo continue de nous endormir, Clapton remonte indéfiniment le temps, et seuls quelques vieux briscards qu’on croyait morts depuis belle lurette apportent un petit rayon de soleil à l’image de Johnny Winter. Joyeux tableau. Heureusement, Ana Popovic est là pour mettre un peu d’animation. Sous ses allures d’actrice porno des pays de l’est, la chanteuse ne plaisante pas lorsqu’elle tient une guitare entre ses mains. Avec Unconditionnal, elle est prête à se déshabiller pour tenter d’apporter un peu de vie à un genre à l’agonie, ou déjà mort depuis une trentaine d’années. Je vous préviens, messieurs, n’achetez par ce disque en espérant découvrir à l’intérieur du livret le portrait non censuré de la miss, vous seriez déçus. Oui, car au-delà de cette pochette inhabituelle pour un disque catalogué blues, il faut se concentrer sur l’essentiel : la musique!

De nationalité serbe, Ana Popovic joue, compose et chante comme une Américaine de souche. Unconditionnal n’est en rien révolutionnaire. Tout ce qu’il y a de plus classique, ce disque repose essentiellement sur l’énergie contagieuse de la belle blonde. Elle mélange sans complexe le blues, le rock et la soul comme bien d’autres formations « blues » actuelles. A l’aise en acoustique (« Fearless »), elle sait aussi faire monter la température en jouant du blues débridé (« Count Me In », l’instrumental « Slideshow »). Les refrains et les riffs sont efficaces, la demoiselle chante avec une vigueur imparable, parfois accompagnée d’un harmonica déchaîné. Elle glisse avec talent certains soli explosifs. Certes, elle n’est pas la fille spirituelle de Muddy Waters (malgré la ressemblance frappante !), mais elle n’a rien à envier à ses pairs masculins, même si ses improvisations tournent parfois trop à la démonstration technique.

Elle sait aussi varier les plaisirs, son talent n’étant pas limité qu’à un registre. Son timbre chaud s’accorde à merveille aux ballades sensuelles et teintées de soul (« Unconditionnal » et « Reset Rewind »). L’ensemble des autres morceaux est de bonne facture ; la blueswoman sexy assure d’un bout à l’autre, sans forcément briller, « Voodoo Woman » étant même assez médiocre. Cependant, trois titres sortent du lot : le swinguant « Work Song » avec son sympathique solo d’orgue, « Summer Rain » et ses mélodies émouvantes, et enfin, la reprise totalement inattendue de « One Room Country Shack », chef d’œuvre enregistré par Buddy guy et Otis Spann en 1967. Comment tenter d’égaler la performance de ces deux maîtres du Chicago Blues ? C’est mission impossible, mais Ana Popovic s’en sort avec grâce.

Ainsi, d’une certaine manière, la Serbe est un peu la Lady Gaga du blues, sauf qu’à la place d’une robe de viande sanguinolente, elle préfère se revêtir de sa guitare. C’est plus classe, bien que cet exhibitionnisme détonne dans le paysage très policé et conformiste du blues actuel. Mais qu’elle use ainsi de ses charmes est tout à fait compréhensible. Pour se faire une réputation dans un genre très masculin, être une femme d’origine serbe n’est pas la voie royale. Depuis une petite dizaine d’année, elle a tout de même réussi à se faire un nom en studio et sur scène, Unconditionnal faisant presque figure de blockbuster pour les amateurs de blues. Ce disque est assurément une bonne surprise.