En 2011, le groupe de hip hop originaire de Philadelphie a multiplié les projets, notamment avec des figures emblématiques de la soul tels Booker T. Jones et Betty Wright, ne cessant de témoigner une forte inclination pour ce genre fondamental dans l’histoire du rap. Ce n’est pas pour rien qu’ils se sont baptisés The Roots. Mais la bande menée à la baguette par Questlove s’est également activement penchée sur l’écriture de son treizième album solo. Undun n’est rien de moins qu’un concept album, centré sur la vie du petit criminel Redford Stevens, mort tragiquement à vingt-cinq ans, n’ayant pas su faire les bons choix pour se sortir d'une jungle urbaine impitoyable.

Le long bip introductif met d’emblée l’auditeur sous tension avant qu’une musique instrumentale d’inspiration neo-soul ne nous fasse immerger progressivement dans cette épopée urbaine et sociale. La rythmique légère et les mélodies aériennes de « Sleep » continuent de nous faire douter sur l’identité musicale de Undun, jusqu’à ce que surgisse de nulle part un unique couplet de rap, bref, mais accrocheur. On apprécie cette montée en puissance progressive : le train se met véritablement en branle avec la première claque de l’album, « Make My ». La douce sobriété instrumentale, les lignes mélodiques envoutantes créent une atmosphère ensorcelante.

De sa voix grave, Black Thought conte l’histoire de Redford Stevens d’une manière implacable mais sans violence. Le débit s’adapte à la rythmique souple imposée par Questlove. Influencés par la soul, les Roots ne perdent jamais le sens des mélodies. Alors qu’ « One Time » est ponctué d’un refrain qui permet d’aérer la composition, la rythmique dynamique de « Kool On » prouve que le hip hop peut être compatible avec un véritable sens de la musicalité. Et que ceux qui osent encore en douter daignent recevoir trois nouvelles baffes : « The Otherside » « I Remember » et « Tip the Scale » allient à merveille la puissance du rap, un accompagnement finement maîtrisé et le lyrisme de mélodies imparables. Génial.

Et ce talent de mélodiste ne passe pas uniquement par la voix. En effet, mine de rien, l’incroyable section rythmique joue un rôle fondamental : elle fait notamment tout le sel du très dynamique « Stomp ». Même si le groupe brille avec une belle insolence, il n’est pas à l’abri d’erreurs de parcours : la baisse d’inspiration est notable sur l’inégal « Lighthouse ».

L’album se clôt sur un ensemble de quatre pièces instrumentales : « Redford » mélodie simple mais émouvante au piano, le deuxième mouvement « Possibility », coloré par les violons, le follement déstructuré « Wild to Power » et enfin « Finality », illuminé par un merveilleux petit orchestre à corde. Ces quatre mouvements de musique contemporaine offre une conclusion aussi appréciable qu’inattendue.

Par leur polyvalence, les Roots se démarquent fondamentalement des autres groupes de hip hop. Ils mêlent diverses influences, et imposent avec brio un style d’une grande personnalité. Chaudement recommandable, Undun est le couronnement d’une année fantastique pour le combo de Philadelphie. Ambitieux, brillants, les Roots sont toujours au sommet après plus de vingt ans d’existence. Chapeau !