Il en faut toujours, dans l’histoire d’un artiste, une apparente conclusion où il dépeint sa propre mort pour l’amour de la dramaturgie. EMINEM n’est pas en reste, le voilà son moment, après plusieurs chapitres dépeignant ses hauts et ses bas, l’acte final. Que les fans ne s’inquiètent pas, comme beaucoup d’autres artistes, EMINEM n’a probablement pas dit son dernier mot mais The Death Of Slim Shady (Coup de Grâce) est peut-être bien le point final de son alter ego.

Après une carrière de presque trente ans, EMINEM reste toujours aussi brillant en cette année 2024, alors c’est sûr, ce sera compliqué pour moi d’être objective, ma foi, on a le droit d’avoir ses chouchous non ? Parce que plus qu’un chouchou, il est reconnu comme l’un des rap God de notre temps (record du monde : 97 mots en 15 secondes sur le morceau éponyme, qui dit mieux ? Eh bien lui bien sûr puisqu’il bat son propre record dans "Godzilla" avec 225 mots en 30 secondes). Bref, un roi de la rime, du double sens et du storytelling, et ça, c’est sans même parler de sa technique (presque) toujours infaillible.

Notre mythique M&M annonce la couleur dès le titre d’introduction "Renaissance" dont le beat sombre au clavier met en lumière l’étendue de sa narration complexe et personnelle (Shady’s dangling a baby tangled in a blanket, strangling/And hanging him over the railing by the ankles on some gangster shit) en débitant ses réflexions sur les critiques (It’s what they do to the greats/Pick apart a Picasso and make excuses to hate/So you can wait for your flowers until you’re blue in the face/Stupid, you ain’t gonna get them until your funeral wake).

"Habits" offre deux lectures, la première est celle d’un titre qui aborde les problèmes d’addictions du rappeur, et la deuxième par laquelle il explique cette habitude tenace d’utiliser Slim Shady pour explorer les facettes les plus sombres, et les plus controversées de sa personnalité (In Pakistan getting chased by a pack of Stans/You know how I roll, bitch, I’m an avalanche/This my shit, I’m gonna spit it how I wanna spit it/Whoever gets offended, suck a dick and fuck a critic). À 51 ans, EMINEM n’a toujours pas peur de choquer et n’a rien perdu de sa rapidité et de son flow légendaire (Cause I’m not a boy, I’m a man, bitch, man-bitch/My speech is free as his choice to choose gender is/This shit is like opioid abuse, isn’t it?).

Les trois skits ("All You Got", "Breaking News", "Guess Who’s Back") et l’interlude "Trouble" servent bien la tradition hip-hop en faisant avancer le récit, et j’aime particulièrement "All You Got", une discussion entre EMINEM et Slim où ce dernier n’a de cesse de revenir hanter le rappeur même s’il est bien au chaud au fond de son sac mortuaire.

Mais Marshall reprend la main sur le beat très funky de "Brand New Dance", c’est drôle et ça claque, la fluidité est impeccable, du pur EMINEM en puissance. Le single "Houdini" dans lequel il sample STEVE MILLER BAND lui vaut le soutien du musicien et le titre "Guilty Conscience 2" fait la part belle au style de sa prose dans laquelle on retrouve souvent cette dimension théâtrale dont il a le secret.

EMINEM ne recule devant rien pour provoquer, choquer et susciter des réactions avec ses paroles controversées qu’il livre avec une brutalité déconcertante, comme sur "Bad One" ou les très, très bons titres "Antichrist" et "Head Honcho". Connu depuis toujours pour son utilisation des jeux de mots et des métaphores, le rappeur fait dans l’exercice de style, que ce soit sur "Fuel" (But I can’t get these voices out my head/They’re putting words in my mouth like alphabet soup/Got the most content on the continent/And constant compliments give me confidence) ou sur le single "Tobey" un featuring avec Big SEAN et BABYTRON (Tobey Maguire got bit by a spider, me ? Must have got bit by a goat).

S’il se permet de rire de tout même du pire, le rappeur a toujours fait dans l’introspection dans des moments plus personnels comme "Evil", "Somebody Save Me" ou "Temporary", une chanson dédiée à sa fille. Evidemment, même après toutes ces années, pas question d’être infidèle à Dr. DRE qu’on retrouve à la prod de "Road Rage" et "Lucifer" sur un sample du groupe hollandais 70’s MOUTH & MACNEAL. Le combo DRE/EMINEM reste toujours aussi carré et efficace.

Pas vraiment de surprise, même si The Death Of Slim Shady (Coup de Grâce) prétend vouloir enterrer Slim, il est loin de signifier la fin de la créativité et de l’impact d’EMINEM sur la scène hip-hop. Constant dans son style, son flow et son habileté technique dont toutes les prouesses se découvrent ou se re-découvrent au fil des 19 chansons de ce douzième opus qui parvient à s’en sortir avec un joli 4.