Que faut-il pour proposer une critique légitime d'une œuvre musicale ? L'exercice requiert-il de maîtriser sur le bout des doigts son sujet, de connaître chaque note, chaque changement de rythme, chaque ligne vocale de l'objet incriminé ? Le critique se doit-il de se documenter un maximum, de connaître le CV des musiciens, leur histoire, leurs aspirations, leur démarche ? Ou alors, le ressenti seul, la sensation que procure l'écoute de l'album suffisent-ils à construire un avis respectable et argumenté ? La critique, c'est un lieu commun, est un exercice éminemment subjectif, qui n'engage que son auteur. Cette même subjectivité qui peut le faire fondre à l'écoute de ce premier album de CAL, tandis que d'autres trouveront sans doute pompeux et sans intérêt le rock celtique proposé par le groupe écossais. Une question de goûts, donc.

De CAL, on ne sait pas grand chose. Dans notre monde 2.0, il est difficile de faire parler de soi sans présence appuyée sur le web. Tout juste se rend-on compte, au fil des écoutes de Turning The Tide, que le groupe voue un véritable culte à Runrig, maître incontesté du genre. Bien vite, on en conclut donc que le jeune groupe, tout comme les britanniques de Coast, semble déterminé à poursuivre une tradition rock celtique « païenne », une branche spécifique, proche de la nature, qui place le divin dans toute chose et place sur un piédestal les vertus de solidarité et d'union du peuple écossais. Le bonheur, semble vouloir nous dire CAL, est dans cette douce brise qui caresse la nuque, dans le bruit du ressac sur les falaises, dans la vue des brumes dansantes sur les Highlands. Dans l'amour, bien sûr. Mais l'amour, on le vit pleinement, instantanément, à l'écoute de cet album dont les instruments et la voix combinés sont un moyen de voyage intérieur, et non une finalité. CAL, avec ses guitares, ses claviers, ses cornemuses et sa voix puissante vous apporte l’Écosse à votre porte, ses paysages, ses clans, sa musique.

L'ensemble est, ne mâchons pas nos mots, tout bonnement formidable. CAL débute, mais le quintet bénéficie d'une maîtrise parfaite de ses objectifs et tisse, en un instant, une toile d'ambiances contrastées, transpirantes de talent et de sincérité. Plutôt que de chercher les similitudes entre le groupe et ses influences, l'auditeur va plutôt choisir de se laisser emporter, par l'énergie fraternelle de « I Can Hear The Nation », par la tendresse rock de « Shadows That Dance », par l'urgence de « Saltire across the blue », par le piano bouleversant de « Don't run away ». Surtout, il faut tomber les barrières, n'opposer aucune résistance, pour que la magie opère et que CAL puisse lentement, délicatement, faire ce qu'un groupe de rock celtique sait généralement faire de mieux : jouer les conteurs, les évocateurs, les griots célestes.

Bien sûr, il y a, en fin d'album, ce remix club, façon techno, de « I can hear the nation » qui vient interrompre le voyage de manière brutale. Bien sûr, il y a, constamment, cette évidence que CAL n'est pas un pionnier, et véhicule des ambiances et des sentiments déjà éprouvés. Mais il y a, surtout, cette ivresse et ce bonheur purs qu'offrent l'écoute d'un album qui a énormément à offrir, pourvu que l'écoute ne soit pas troublée par un élément extérieur. Un album dont la richesse est inversement proportionnelle à la couverture médiatique et qui prouve qu'en 2012, fort heureusement, le rock celtique n'a pas encore tout dit.

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