Elle partit précipitamment par un jour froid et sombre d'automne. L'atmosphère était pluvieuse, mais elle n'y prêta aucune attention, malgré sa tenue particulièrement légère pour la saison : un tailleur, celui que son patron appréciait tant, car il pouvait reluquer à loisir ses cuisses encore fermes malgré les grossesses et le poids des ans. Et puis ce tablier, véritable tue-l'amour, sur lequel traînait encore en bonne place la tâche de sauce tomate. Des pâtes à la sauce tomate, le bureau, le mari et son air désabusé, les moutards, tout cela lui sembla d'un coup lointain, presque irréel. La réalité, c'était cette voix chaude et tendre qui susurrait tant de mots doux à son oreille. Déjà, la voix de Marc LAVOINE lui manquait comme un doudou manque à un nourrisson, elle qui avait laissé son CD à la maison, l'oubliant dans l'urgence du départ. Les yeux bleus du chanteur dansaient devant son regard tandis qu'elle traversait les rues sans regarder à droite et à gauche, tandis que son pas s'accélérait pour retrouver celui qui, à travers ses chansons, lui promettait monts et merveilles.

Elle avait cru, tout d'abord, qu'elle devenait folle, que ses hormones lui jouaient un tour. Un sale coup de la ménopause, pensait-elle, tandis que le chanteur lui chantait des mots d'amour dans les rayons du Monoprix. Hésitante, elle avait longuement envisagé la pochette du onzième album de celui que les médias qualifiaient à loisir de chanteur pour midinettes. Et puis, comme happée par ce visuel simiesque à la fois troublant et chargé d'érotisme, elle avait placé l'album dans son caddie, entre les Kellog's et les cotons-tige. « Tu ferais mieux d'utiliser notre pouvoir d'achat à autre chose que ces conneries », lui avait dit son mari une fois revenue à la maison. Mais elle s'en fichait, éperdument, dédaigneusement. Lui ne lui avait jamais dit, d'une voix grave et cassée, « Prends moi dans tes bras, tu sais mon ange, je ferais n'importe quoi », comme le faisait Marc LAVOINE sur « Avec toi », chanson folk guillerette qui mettait tous ses sens en émoi.

Peu à peu, l'album avait grandi en elle. Il ne s'agissait pas de variété française de bas étage, pas comme ce Frédéric François tant adulé par sa belle-mère. Pas de faux-semblants chez Marc LAVOINE. « Il me manque ta peau sur la mienne, il me manque tes yeux dans les miens », comment résister un seul instant à l'écoute de ces paroles bouleversantes par leur teneur, mais aussi par leur habillage acoustique bouleversant ? L'escalade des mélodies, la tendresse désabusée, ce piano solennel, tout cela opéra en elle comme une décharge électrique. La tristesse, la richesse des ambiances et des mélodies, Je Descends du Singe la frappa en plein cœur. « Auprès de toi mon frère », mélange une nouvelle fois réussi entre guitare acoustique, piano et claviers électro, et cette voix, si monocorde et pourtant si variée, qui l'appelait, comme si la tonalité basse du chanteur servait d'appeau attirant la gent féminine.

Elle posa ses gants Mapa et se lança, sans hésiter une seconde de plus à la poursuite du bonheur. Ses cheveux claquaient à la brise fraîche d'octobre, tandis que son esprit s'enivrait encore de la mélodie empreinte d'une profonde tristesse de « Ballade pour Michelle ». Ne pas faire comme Michelle, mourir sans avoir vécu, telle était cette force qui l'animait au moment d'accomplir les derniers mètres qui la séparaient de son destin. Marc, celui qui enchantait ses oreilles quelques heures avant aux douces sonorités folk et joyeuses de « J'ai vu la lumière », l'attendait sur le pas de sa porte, ses yeux bleus comme deux phares dans la nuit. Il esquissa un sourire, elle en fit de même. L'amour, enfin, entra dans sa vie...