Dans The Well, le nouvel album de Tord Gustavsen, ici en quartet sur le label ECM, on retrouve bien évidemment le pianiste norvégien Tord Gustavsen, qui signe toutes les compositions, mais également le saxophoniste (norvégien lui aussi) Tore Brunborg, ce dernier ayant participé au récent album de Manu Katché. Comme cela arrive parfois chez les formations nordiques, le quartet nous offre un jazz qui balance très peu, voire un jazz un peu trop froid au goût de certains. The Well est indéniablement un bel album, calme, dans lequel le saxophone va se tailler une belle part des interventions.

Les compositions, assez courtes, d'une durée de quatre à cinq minutes en général, misent parfois sur des mélodies particulièrement lyriques. Notamment sur l'introductif "Prelude", joué en mode mineur au piano, qui s'avère être une jolie réussite. Les légères colorations hispaniques de "Playing" (qu'on retrouvera disséminées ci et là dans l'album, comme sur "Circling") ne sont pas sans rappeler l'album The River Of Anyder du Stefano Battaglia Trio sorti l'an passé. Une danse avec toutefois beaucoup plus de retenue, moins de flamboyance, et comme chez Battaglia la section rythmique ne passera pas inaperçue, avec Vespestad qui fait rouler sa batterie et le contrebassiste intervenant notamment avec ses ostinatos fortement soulignés en pizzicato. "Suite", le morceau le plus long de l'album (plus de huit minutes), est également la pièce maîtresse de l'album. Le lyrisme particulièrement tendre et délectable de cette belle quasi-ballade de Gustavsen est rapidement rejoint et renforcé par Eilertsen qui joue à l'archet. Le saxophone de Brunborg possède une coloration particulièrement sensuelle et atmosphérique. Si "Communion" est une pièce enchanteresse qui peut évoquer des paysages lointains dignes du saxophoniste Jan Garbarek, le quartet marche sur les terres du gospel (lent) sur "Circling", un exercice auquel les jazzmen se prêtent de temps en temps (et qui fera inévitablement penser à l'album Belonging de Keith Jarrett et Jan Garbarek, un exemple éloquent en la matière). "On Every Corner" est une composition où la superbe et très pop mélodie, empreinte de blues, est subtilement partagée entre le pianiste et le saxophoniste.

Toutefois, malgré toutes ces qualités, quelque chose s’apparente à un manque dans cet album. On reste un peu sur sa faim. Tout est évidemment parfaitement exécuté, parfaitement arrangé, mais la direction peut-être trop calme et lyrique tout du long manque de moments forts, de moments de passion où nos jazzmen se lâcheraient quelque peu. The Well peut sembler être froidement exécuté et manquer d’une certaine chaleur humaine, surtout dans ses derniers titres. Tout est sous contrôle. Il manque non pas des émotions mais plutôt une intensité qui nous emporterait définitivement avec elles. Ce qui au final me fait penser que The Well est un bon album, mélodique, dense, riche harmoniquement, mais pas un album recommandable à tous. Comme le souligne Tord Gustavsen il va falloir aimer les « berceuses abstraites ». Les cinquante-trois minutes de l’album peuvent donc paraître excessivement longues. Et ce n’est pas forcément bon signe. The Well pourrait être l’exemple parfait d’un album qu’on sait être bon mais qu’on n’écoutera pas souvent. C'est donc un album qu'il est fortement conseillé d'écouter avant de passer à l'achat.

Note réelle : 2.5/5.