Lorsqu’est sorti, en 2022, l’album Betsu No Jikan, j’ai été immédiatement séduit par ce que nous proposait le Japonais Takuro Okada, retrouvant dans celui-là quelques touches de jazz ambient aux colorations ‘hasselliennes’. The Near End, The Dark Night, The County Line n’est pas tout à fait dans la lignée de Betsu No Jikan ; il s’agit d’une compilation de musiques et chansons enregistrées au cours des 10 dernières années "comme une sorte de journal, à la maison et chez des amis" explique le multi-instrumentiste japonais : "les morceaux ont été choisis en mettant l’accent sur mon instrument principal, la guitare. Certaines des chansons ont été précédemment publiées sur ma page Bandcamp, mais ont été remixées."

Il s’agit de musiques aux influences particulièrement diverses, surtout jouées en solo, l’explication tenant notamment à la culture hybride du Japonais, ce dernier ayant grandi à Fussa (Tokyo), où se trouve la base aérienne américaine de Yokota et "où s’affrontent les coutumes et les traditions qui y sont associées". Pendant que Okada se perfectionnait en jouant devant des militaires américains dans des clubs le long de la fameuse Bar Row de Fussa (parfois dénommée Little America), il expérimentait chez lui les techniques d’enregistrement et développait ses compétences de producteur.

The Near End, The Dark Night, The County Line est donc une compilation aux multiples ambiances. Si son caractère général est celui de la luminosité, elle n’est pas sans posséder une approche cinématographique plus versatile et, après tout, ce n’est pas une surprise, Okada ayant réalisé en 2024 la musique du film After the Fever de Hide Yamamoto. Ainsi, "Reflections / Entering #2", free jazz à l’esprit ambient, passe de la lumière et de l’insouciance à des atmosphères dominées par le suspense, notamment dans cette longue phase jouée aux cymbales, qui aurait été – par exemple - parfaite pour le thriller japonais Prison Gate Island (musique de Shinichi Tanabe, 1977). Le suivant "Mirror" est un fragment sonore qu’on peut qualifier de ‘dark ambient’ - qui étonnamment n’est pas joué aux synthés mais à la guitare électrique. Le superbe "Ohme part 2" voit Okada s’occuper de tous les instruments (guitare acoustique, clarinette, violon, piano, percussions), la mélodie semblant avoir été conçue pour le ‘main theme’ d’un film des seventies ; cette musique aux touches jaunies possède des saveurs nostalgiques réellement exquises.

La luminosité, c’est l’introductif "Following Morning" avec cette ambiance qui sied parfaitement à l’éveil et au lever de soleil dans la chambre ; c’est cette guitare qui miaule, encore jouée au bottleneck, sur le smooth "The Room", ou la chanson "Shadow (2024 Mix)" dans laquelle Okada pose sa douce voix, un jazz cool ou smooth, qui capte la chaleur des rayons du soleil : ce n’est pas de la bossa nova mais il pourrait plaire aux amateurs de Getz et Gilberto (Okada ose pourtant y insérer progressivement une guitare bien fuzzy – mais qui n’est pas fondamentalement dérangeante à mes oreilles).

Parmi les curiosités, "Howllin Dog" est structurée autour d’un ostinato léthargique joué à la contrebasse par Seth Ford Young ; un titre amusant parsemé de petites clochettes et de bends lents à la guitare acoustique où on entend finalement le chien aboyer en fin de titre. Ce peut être également "Before", sorte d’ambient liquide, "Mizu" aux effets psychédéliques réalisés à la guitare électrique, ou bien encore le cinématographique "Taco Beach" aux ambiances de Western sous un Soleil dardant de rayons étouffants.

"The Near End, The Dark Night, The County Line" est le plus beau titre de l’album, la réverb accentue la luminosité du jeu de guitare et mandoline, d’une belle fluidité et élégance, et vers 2’40 la mélodie qui était sous-jacente et qui apparaît alors clairement me rappelle à chaque fois la chanson "Stirb Nicht Vor Mir" de RAMMSTEIN avec Charleen Spiteri, la chanteuse de TEXAS ; probablement une coïncidence d’ailleurs mais il existe une certaine ressemblance mélodique.

The Near End, The Dark Night, The County Line est un bel album (une belle compilation plutôt) de titres épars, avec des musiques diversifiées, élégantes, relaxantes, baignées dans le soleil, parfois plus sombres et cinématographiques ; environ 47 minutes qui passent rapidement, qui peuvent parfaitement s’écouter dans un esprit de musique ambient.

Note : 3.75/5.