Lorsqu’un album de Bobo Stenson sort, on jette forcément au moins une oreille dessus. Le pianiste suédois, qui restera inévitablement dans les cœurs avec les sublimes Witchi-Tai-To et Dansere (Bobo Stenson Quartet, albums sortis respectivement en 1974 et 1976) où il partageait la vedette avec Jan Garbarek, ne compte pas parmi les musiciens les plus prolixes. Toujours sur le label ECM (il a été un des premiers artistes à être signés sur celui-ci), il propose sur Indicum, et de nouveau sous une formation en trio (celle de Cantando) en compagnie du contrebassiste Anders Jormin et du batteur Jon Fält, de relire des compositions de musiciens aussi divers que Bill Evans, George Russell, Ariel Ramirez ou Wolf Biermann. Mais il en profite également pour enrichir son propre répertoire de quelques titres composés en trio.

L’éclectisme des compositions ne constitue nullement un heurt sur Indicum, on soulignera la jolie réappropriation de celles-ci par le trio, il en ressort un album à la fois diversifié et néanmoins cohérent. Deux des trois titres écrits par le trio (« Indikon » et « Indigo ») pourront faire penser au très coloré The River of Anyder du Stefano Battaglia Trio, de par leurs atmosphères. Mais aussi dans le sens où ces compositions semblent tendre également vers « des chansons et des danses non influencées par la sophistication des langages musicaux contemporains », selon l’expression même de Battaglia. Ces compositions sont l’exemple même du tableau que l’on peint sous vos yeux, que vous voyez prendre forme peu à peu et dans lequel l’auditeur finit par se fondre. C’est un jazz immersif qui fait voyager, riche en intervention des percussions. Très joli ! Le troisième titre composé par le trio, « Indicum », est une courte parenthèse aux paysages plus crépusculaires.

Evidemment, Indicum, avec son lot important de réinterprétations, aussi réussies soient-elles, ne bouleversera pas le paysage du jazz contemporain. C’est également une musique qui prend son temps, tranquille, élégante et jamais démonstrative ou excessive (ce n’est pas pour rien qu’on a droit au « Your Story » de Bill Evans en introduction). Il faut apprécier cette orientation, car bien entendu tout le monde ne recherche pas la même chose dans le jazz. Indicum est l’exemple même de l’album qui nous interpellera à certains moments et se fera oublier à d’autres. Le passage le plus mélodique de l’album se retrouve sans conteste dans « La Peregrinacion » que l’on doit au compositeur Ariel Ramirez, et popularisé chez nous grâce à Julien Clerc. Bobo Stenson tourne sereinement autour du chorus, en prenant son temps. Il y a un lyrisme et une mélancolie raffinés dans son jeu. A l’instar de son « Ave Maria », une composition traditionnelle norvégienne, nous sommes là dans une interprétation qui prend la forme tour à tour d’une « berceuse » colorée et d’une ballade introspective.

Indicum ne se pose pas en album essentiel dans la discographie de Bobo Stenson. Il s’agit d’un bel album, apaisant, gracieux et léger comme le papillon peut l’être, l’espace donné aux musiciens, typique du label ECM, lui confère un relief sonore toujours idéal qui permet d’apprécier au mieux les interactions des instruments. Il faut toutefois être en phase avec l’esprit de ce disque, élégant, mais tout en retenue, parfois timide, un peu introverti, et qui ne s’offre pas à vous en faisant le premier pas.