Macy Gray n’a décidément peur de rien. Après nous les avoir cassées avec l’insignifiant Covered, elle remet le cover avec un nouvel opus sobrement intitulé Talking Book. Ce titre qui chatouille habituellement les oreilles des fans de soul Motown risque ici de faire crisser les dents des amateurs de Stevie Wonder. Eh oui, Macy Gray s’est décidée de rendre hommage à ce disque culte qui marque désormais quatre décennies au compteur. Il est assez rare que des albums entiers soient intégralement repris, mais cela s’est déjà vu dans le milieu de la soul. En 2006, le Dirty Dozen Brass Band reprenait suite au passage de Katrina le What’s Goin On de Marvin Gaye. Le brass band de la Nouvelle Orléans revisitait alors de manière très audacieuse ce classique en y insufflant une bonne dose de hip hop et de jazz.

Macy Gray ne se permet pas de telles audaces. Mais en limitant les risques, elle parvient aussi à limiter la casse. Car mine de rien, ce Talking Book nouvelle version tient plutôt bien la route. Les arrangements foisonnants de Hal Wilner respectent l’esprit des origines. Ils permettent à ce projet de reposer déjà sur des bases solides. A cela s’ajoute l’interprétation enfumée de Macy Gray qui fait évidemment tout le sel de ce disque. La tessiture rocailleuse de sa voix érodée à coup de rasades de whiskey permet de donner une nouvelle saveur à ces dix standards archi-célèbres. Écoutons par exemple le fabuleux « Superstition » : Macy Gray a cette voix déchirée des mauvais jours, les arrangements planants ajoutent quelque chose de psychédélique, d’ambivalent, le tout est à la fois boiteux et très réussi.

Même le sirupeux « You Are the Sunshine of My Life » vaut le détour. Les lignes vocales pures que Stevie Wonder savait savamment construire ont disparu. L’interpétation de Macy Gray dégage quelque chose de triste ; elle cache le soleil radieux derrière quelques nuages grisâtres. Dans l’ensemble cette version de Talking Book est certainement plus torturée que l’originale.

Sur le lascif « You’ve Got It Bad Girl » qui exhale des relents de sensualité dépravée, Macy Gray a encore cette voix profonde et brisée qui fait toute sa singularité. Ce Talking Book est habité par un côté cafardeux de fin de soirée trop arrosée quand quelques invités bourrés chantent en boucle les mêmes ritournelles comme si le disque était rayé. On a un peu cette impression à l’écoute de « You and I (We can conquer the world ) » : Macy Gray n’a pas l’air de trop croire en ce qu’elle chante, mais elle le fait pourtant avec acharnement ce qui rend ce morceau bancal encore plus émouvant.

Pleinement investie, Macy Gray ne nous fait pas douter sur la sincérité de sa démarche, certainement un peu suicidaire mais d’autant plus touchante. Elle ne manque pas de passion ni de dévotion pour cet âge d’or de la soul qui apparaît comme un inaccessible paradis perdu. Parce qu’il est plein de défauts, de brisures, de déchirures, de failles, Talking Book est un album très attachant. Macy Gray se réapproprie pleinement le disque de Stevie Wonder qui en avait fait un modèle de perfection musicale. La chanteuse n’est certainement pas en quête de perfection, elle serait plutôt en quête d’elle-même. Avec le diptyque Covered/Talking Book, elle aura donné le sentiment de se chercher musicalement, au point de se retrouver souvent au bord du naufrage. Mais ce périple n’aura pas été totalement vain : Talking Book a de l’âme et c’est bien l'essentiel.