Chez Cédric Gervy, la frontière entre l’humour et la mélancolie est plus brumeuse qu’une nuit de Londres. Mais jamais un de ses albums auparavant ne s’était autant servi de l’humour comme « politesse du désespoir » comme disait l’autre. « J’aimerais trop » sonne comme l’album de la mélancolie : les textes légers des premiers albums, les parodies aux jeux de mots faciles mais efficaces ont laissé la place à un humour grinçant et critique. Celui que Wikipedia qualifie encore d’ « humoriste » a visiblement laissé cette casquette de côté.

Ce qui caractérise ce disque, c’est avant tout l’ambiance mélancolique qui y règne. Pas de regrets, encore moins de remords ; juste une nostalgie émouvante à travers le passage à la quarantaine (« 30-10 » ; « En quarantaine »), la disparition de grands artistes (Michael Jackson, Brassens et la descente aux enfers de Renaud) et sa propre carrière musicale (« C’est pas grave »). Et quand il ne songe pas à ses souvenirs passés, il critique vivement la société, son mode de consommation, les médias, la politique, … Peu de franche rigolade sur ces quarante-cinq minutes musicales donc. Et si certains débuts de paroles nous donnent envie de sourire, c’est pour mieux retomber quelques minutes plus tard.

Mais ne limitons pas ce disque au cliché du disque torturé et dépressif ! Rien de tout ça dans l’œuvre de Cédric Gervy ! L’album est au contraire riche de bons mots, de trouvailles amusantes et de références culturelles à n’en plus finir ; on court de surprise en surprise et on ne cesse de se sentir concerné par ces paroles ultra réalistes qu’on regrette de ne pas avoir écrit plus tôt. Et c’est peut-être ça, la principale qualité de l’artiste : savoir se plaindre sans tomber dans le pathos stéréotypé.

Musicalement, le bonhomme a bien changé aussi. Je notais déjà dans l’album précédent une mutation vers des morceaux plus construits, mieux arrangés, plus développés. Les compliments semblent avoir été entendus et on trouve à présent de tout (du bon comme du moins bon) : de la guitare acoustique épurée, des morceaux pop rock, de l’électro ou encore du rap. Mention spéciale à « C’est pas grave », la chanson la plus complète du disque, qui mélange un peu tous les genres et maintient étonnement une cohérence bienvenue.

Ce n’est malheureusement pas l’image que donne le disque en général : cet éclectisme est peut-être un trop bordélique, comme si Cédric Gervy avait voulu toucher un peu à tout, quitte à se brûler les doigts. Comme si « J’aimerais trop » était son album expérimental : une manière de ne pas s’ennuyer, d’évoluer. Et par conséquent, tout n’est pas rose et certains morceaux sont moins réussis, ou plus anecdotiques : « Slimfast Food » ou l’humoristique « développement du rap ». Mais beaucoup d’autres recèlent de très bons moments : le très beau et sincère « 15h40 », l’émouvant « En quarantaine », l’incisif « Julien Leroux » ou encore la pastiche de Stromae qui aura fait parler de lui en Belgique, ce « Formidable » patriotique adressé au nouveau Roi.

* Mon coup de cœur : C’est pas grave
* Mon coup de gueule : Slimfast Food