Lorsque des frères jumeaux new-yorkais (Simone et Amadeo Pace) rencontrent un couple de Japonais (Kazu Makina et Maki Takahashi) dans un restaurant italien, ça ne peut manquer de faire un mélange explosif ! Les américains composent, les asiatiques chantent : c’est ainsi que l’histoire de BLONDE REDHEAD débute, dans la première moitié des années 90. Alors très influencés par le noise-rock des mythiques SONIC YOUTH, ils sont signés par le batteur de ces derniers, véritable consécration pour ces quatre fans qui sortent ainsi un premier opus éponyme. D’albums en albums, le quatuor affine son style mais ne parvient jamais tout à fait à s’affranchir de son influence principale. Le chanteur nippon largue la troupe en route, remplacé au pied levé par Amadeo qui se révèle avoir une voix très proche de celle de son prédécesseur.
C’est seulement dans cette configuration que le groupe, passé au format « trio », va sortir ses premiers albums vraiment personnels, enfin libérés des ressemblances trop lourdes avec SONIC YOUTH. Et c’est le début de la reconnaissance par le public spécialisé, une reconnaissance ô combien méritée d’ailleurs, à l’écoute de leur dernier bijou !

Misery is a Butterfly est définitivement l’album le plus personnel et le plus mûr de BLONDE REDHEAD à ce jour. Exit le côté noise qui cantonnait le groupe dans une position ingrate de clone, c’est désormais une teinte electro-pop qui donne vie à leur rock unique. Les jumeaux ont mis le paquet sur les instrumentales aux mélodies acidulées, douces, à la fois tristes et tendres ("Elephant Woman"). Une pléiade d’instruments synthétiques colore l’album de teintes pastel et délavées, mélancoliques et enfantines, ressemblant aux ritournelles d’une boîte à musique désaccordée. Une touche symphonique garnit même quelques morceaux qui prennent alors des faux airs tragiques ("Misery is a Butterfly"). Ce qui n’empêche pas ce disque d’être entraînant au détour d’une chanson plus énergique ("Maddening Cloud") !
Les onze pistes dégagent toutes une véritable personnalité musicale, de même qu’elles exploitent une facette différente du concept général basé sur ce thème universel… celui de l’Amour bien sûr. Des paroles vraies, sensibles, poétiques, émaillent chaque titre avec harmonie grâce aux interprétations sans faille d’Amadeo et Kazu.

Les deux vocalistes se succèdent sans se croiser, comme ces amants qui ne ressentent jamais la même émotion au même moment et ne parviennent à comprendre l’autre sans renoncer à une part d’eux-mêmes. Leurs voix originales semblent pourtant se compléter, s’embellir réciproquement ; elles se tournent autour, se cherchent et feignent de s’ignorer, elles veulent évidemment se rencontrer mais n’y parviennent qu’au terme de l’album ("Pink Love"). Amadeo possède un timbre hybride très particulier et enchanteur, qui flirte parfois avec la dépression ("Messenger"). Kazu, de son côté, a une de ces petites voix aiguës et virginales si douces, innocemment sensuelles, qui touchent directement au but ("Melody"). C’est d’ailleurs elle qui obtient le mot de la fin en interprétant seule l’unique chanson noisy de l’album, où son organe sature à nouveau comme au premier jour ("Equus").

Voici le genre d’album qui marque indéniablement son homme, comme s’il parlait à tous avec la même intensité. Intime, tendre, doux-amer, romanesque, délicat, il vaut autant pour ses mélodies que son interprétation vocale. Gageons que les originaux de BLONDE REDHEAD continueront à défricher ce genre nouveau qu’ils ont créé. Et qu’ils lui donneront d’autres lettres de noblesse de cette qualité.