Il ne faut pas s'y fier, si aujourd'hui la plupart des rappeurs nous proposent des albums vides de contenu – du moins ceux que l'on voit/entend dans les médias – il ne faut pas oublier qu'à la genèse de ce mouvement il y a eu une vraie recrudescence de jeunes rappeurs undergrounds qui en voulaient (vraiment !). On parle ici des rappeurs qui ont sorti leurs albums dans l'ombre, parce qu'ils se sont fait connaître en connaissant quelqu'un qui connaissait quelqu'un, mais rien d'officiel, pas de maison de disque. Du son de la rue, pour la rue. Si on peut citer un nombre incalculable de rappeurs dans son cas, ROCCA est bel et bien l'un des plus importants du genre.

Le bonhomme est fils de Colombiens, mais lui est né à Paris. Dans la cité, dans le rap, dans tout ce qui se fait à l'époque qui le pousse à devenir rappeur. Il le dit d'ailleurs dans une de ses chansons présente sur l'album Entre deux Mondes, « Le Hip-Hop mon royaume » : vu ses origines, il était prédestiné à devenir un chanteur de salsa – parents musiciens, lui-même apprend la musique et les percussions – mais la rue l'a poussé à changer de direction et à se tourner vers le rap. Son rap, si unique grâce à ses touches latinos, est caractérisé par un flow la plupart du temps assez rapide, agressif tout en étant compréhensible et conscient.

Il est assez complexe de se lancer dans cet album aux multiples facettes. En premier lieu les instrus sont alambiquées sur pas mal de morceaux, ce qui n'est pas commun pour l'époque. Ensuite c'est sans aucun doute l'engagement des paroles qui frappe. En effet, ROCCA s'est fait connaître en solo pour la magie des paroles que contient la chanson « Les Jeunes de l'univers », entre autres. Mais ce n'est pas la seule perle rare sur cet album. La vraie patte de ROCCA réside dans le fait qu'il échange entre langue française et langue espagnole de temps en temps, avec justesse.
Délectez-vous avec bonheur d'un excellent « Entre 2 mondes » avec son refrain bien ficelé. Et ne passez surtout pas à travers du très juste « L'Original » ni de « Mot pour mot » et son instru forcément attachante.
Les discours de ROCCA sont pour la plupart du temps assez sombres, et il arrive que les instrus suivent, comme sur « En dehors des lois », qui nous plonge dans une ambiance presque flippante, très noire et qui met bien en reflet le ressenti du rappeur sur la société. Mention spéciale à l'invité DADDY LORD C qui envoie un couplet du tonnerre sur ce morceau. Le constat est d'ailleurs plus ou moins le même sur « La Morale » qui est aussi un titre assez sombre.
Au contraire, certains titres comme « Artifices » jouissent d'une instru enjouée, presque r'n'b et proche de ce qui se fait à l'époque aux Etats-Unis.

Quand ROCCA invite au micro ses confrères de LA CLIQUA, on sent qu'il est réellement dans son élément et on se retrouve sur « Rap Contact II » avec l'un des meilleurs morceaux de l'album, plein de punch et fourni de paroles excellentes. Le rappeur s'amuse même à sortir une sorte d'égo-trip, plutôt une autobiographie de son ressenti face au succès sur « La Fama ». Et, comme annoncé en début de chronique, le morceau « Le Hip-Hop Mon Royaume » qui clôt l'album est encore une fois un récit autobiographie tourné avec justesse.

Cet album est dans la continuité de LA CLIQUA : on reconnaît parfaitement le style de ROCCA qui est si unique. Entre Deux Monde est sans aucun doute un classique car encore écouté 15 ans plus tard, de plus des morceaux comme « Les Jeunes de l'Univers » sont respectés et pris comme cas d'école encore aujourd'hui.