La France est un pays merveilleux, on ne le dira jamais assez (et elle en a bien besoin). Elle a ses avantages et ses failles, comme tous les systèmes. Parmi les regrets qui peuvent être émis, il y a ce principe - rattaché à la culture, développé au cours de son Histoire et non pas échu à la République seule - que pour un mélange homogène, il faut dissoudre et copieusement. Schéma récurrent : tout le monde parle la même langue, au détriment des autres (à titre personnel, l'adage "l'un n'empêche pas l'autre" reste préférable, mais bon...).

Et comme quoi, ça aide d'être têtu ! Un cliché récurrent quand on pense à certains peuples comme les Bretons et les Corses, adjoint à un caractère bien trempé. Mieux que quiconque d'autre, la fierté, la préservation de leur langue et de leur musique les a conduits jusqu'au succès populaire, s'opposant au scepticisme ambiant de tous ceux qui ne souffrent aucun "régionalisme", Parisiens mais pas que, loin de là. De même, et cette fois au mépris des puristes locaux, elle a créé des ouvertures et permis de nombreux rapprochements.

Le concept de Patrick FIORI va en ce sens. Corsu Mezu Mezu ("corse moitié moitié"), c'est tout simplement un nouveau projet où des musiciens corses rencontrent des métropolitains, sur l'ensemble d'un disque et dans un esprit collectif décidément très en vogue. Sauf que l'initiative reste louable et non relégable pour cause de "bons sentiments". Si la Bretagne a manqué de peu l'occasion d'une 3ème vague celtique, 2015 est en revanche l'année de la Corse, celle qui voit le retour d'anciens, le succès de nouveaux, et donc une jolie rentrée de septembre illustrée par ce disque.

Un concept, effectivement, avec entre chaque duo ou trio de chansons, des interludes récités et pas par n'importe qui. Antoine CIOSI, c'est bien de lui qu'il s'agit, le grand chêne de la musique corse âgé de 84 ans mais éternel jeune premier, comme les icônes de l'île de Beauté qui ont le mieux défié le temps... De sa voix grave et éloquente, il nous raconte des textes simples et poétiques, galanteries envers les femmes (Furtunatu, la belle du village), images de personnalités, déclarations d'amour à la Corse... Le tout avec naturel, sans vouloir faire de romantisme simplet.

La chanson corse n'est pas censée s'adresser aux jeunes, y compris dans un registre pop-rock. Il y a quelque chose de la dolce vita italienne, du fado portugais... Il y a ce goût d'antan, cette touche de désuétude dont la variété ne s'est elle-même jamais débarrassée complètement, même si on s'appelle BENABAR, Louis BERTIGNAC ou GRAND CORPS MALADE. D'ailleurs, tous trois sont présents ici, mais par pour renforcer les craintes que l'on pourrait avoir facilement.

L'écueil consensuel n'est pas toujours évité et quelques choix laissent perplexe, non pas les escapades dans la langue de Molière, mais l'intervention de BERTIGNAC (au contraire de BENABAR, remarquable) ou celle de FIORI lui-même aux côtés du grand CIOSI sur "Ô Corse Île d'Amour", hommage à Tino ROSSI. Le pourtant très beau "A L'altru Mondu", duo entre la belge MAURANE et l'excellent Mai PESCE (I CHJAMI AGHALESI, autres vétérans) s'intègre de justesse.

Néanmoins, la présence de grandes figures insulaires de cette musique assure d'emblée une distinction certaine, qu'il s'agisse de CIOSI, de PESCE, SURGHJENTI, A FILETTA, Petru GUELFUCCI, des plus récents ARAPÀ... Les parti-pris "à la française" sont mesurés face à l'effort accompli niveau authenticité, et on peut en remercier FIORI largement. En prime, les métropolitains tiennent tous à servir la langue corse de manière plus ou moins fidèle, quitte à sonner léger comme le pétillant Michel FUGAIN. JENIFER elle-même, corse d'origine (Bartoli est son nom), n'en fait point trop sur le splendide "Ricordu" des SURGHJENTI...

La modestie notable des français se fond dans la texture ample des chansons reprises et qui rappellent les belles années de la Corse en musique, de la fin des années 80 à l'an 2000. Les notes de cetera et de guitare classique, parfois de piano, tissent des ambiances fortes sous les voix des chanteurs, plus rarement chanteuses (le choeur ISULATINE, les excellentes Francine MASSIANI et Anne ETCHEGOYEN, cette dernière d'origine basque). On n'atteint certes pas le raffinement des œuvres publiées à l'époque par I MUVRINI, groupe emblème qui ne participe pas ici, mais Enrico MACIAS n'a même pas à rougir lorsqu'il interprète leur chaleureux "Amareni", c'est dire !

Manquent peut-être une ou deux autres figures de la chanson corse féminine (Patrizia GATTACECA, Battista ACQUAVIVA...), et quelques références plus "trad" que "pop" en chansons. Sinon peu de choses à redire concernant ce joli disque, fort agréable et qui s'écoute sans mal, d'une traite.