Le trompettiste polonais Tomasz Stańko s'est fait connaître en Europe au début des années 60 en pratiquant un free jazz et jazz avant-gardiste avec la formation en quartet Jazz Darings. Il a ensuite intégré de nombreuses autres formations et a joué avec des musiciens de jazz parmi les plus réputés (DeJonhette, Peacock, Taylor, Holland, Surman, Freeman, Stenson, Christensen, Danielsson...). Le trompettiste a un parcours on ne peut plus solide, mondialement reconnu, et lorsque sort ce Soul of Things en 2002, sur le label ECM, le Polonais a déjà une riche discographie derrière lui, dont notamment quelques musiques de films.

Le line-up est ici très établi, Stańko ayant joué à de nombreuses reprises avec Wasilewski (piano), Kurkiewicz (contrebasse) et Miskiewicz (batterie). On est ici quasiment en famille et on se connaît particulièrement bien. On retrouvera ce line-up sur l'album Neighbourhood de Manu Katché en 2005 (sauf le batteur Miskiewicz évidemment).

Le quartet propose ici 13 variations à travers l'âme de choses, souvent en forme de ballades. Des ballades au caractère janusien, deux facettes de l'âme, une âme attirée par des forces gravitationnelles lumineuses mais également plus obscures, moins rassurantes. A ce titre, les âmes hésitent, se dirigent d'un côté puis renoncent, rebroussent chemin pour en explorer son opposé. Presque toujours elles sont tiraillées entre ces deux côtés.

Il y a quelque chose de cinématographique dans cette musique. Plongée directe dans les ruelles d'un film noir digne de Sin City, tension à la Bohren und der Club of Gore (Variations I et IX), thèmes possibles d'un film italien des 80's (Variations II et IV), thème enjoué de la trompette obligeant les instrumentistes à la suivre alors que le piano de Wasilewski ne demande qu'à retomber dans des ambiances plus sombres, à la Inferno - de Keith Emerson (Variation III qui possède un joli passage bien swinguant). Et, "Variation VII" s'inscrit dans cette continuité possible d'ambiances à la Inferno : avec une belle entrée en matière inquiétante aux cymbales et piano porteur de tension. Mais ici c'est la trompette qui essaye d'apporter sa luminosité. On retrouvera de belles cymbales aux superbes profondeurs sur "Variation VIII".

La trompette fine de Stańko, puis le piano, caressent une mélodie luxuriante, possiblement à la façon traditionnelle italienne du jazz, alors même qu'on croit entendre Stańko extraire en filigrane quelques notes d'un manga japonais (Variation IV) : de toute beauté et d'une subtilité touchante ! Sur "Variation V", Wasilewski esquisse le thème de James Bond de la main gauche alors que la main droite se balade de manière plus insouciante.

Soul of Things est un album délicat, subtil ; Soul of Things est janusien, clair-obscur ; Soul of Things est cinématographique sans jamais exagérer les atmosphères, et laisse une grande part à l'imagination ; Soul of Things peut être de prime abord assez difficile d'accès mais sa finesse de jeu, l'interaction admirable du quartet ne laisse pas place au doute : c'est un très bel album interprété par de grands musiciens qui se connaissent très bien.