Alors que la musique électronique prospère en Allemagne au début des années 70, elle est au contraire quasiment absente de la scène britannique. Certes, le rock progressif anglais l'expérimente en adoptant quelques-uns de ses instruments - en particulier le Moog qui remplace peu à peu l'orgue Hammond - mais aucun artiste n'en fait encore un usage aussi novateur que les groupes de la Berlin School ou encore KRAFTWERK. Distancée, l'orgueilleuse Albion ?

Que nenni ! Au tournant décisif de la déferlante punk, tant bien que mal, la voilà qui s'entête à s'en extirper deux rejetons de la matrice teutonne, bien aidée par les compères David BOWIE, Peter HAMMILL et surtout Brian ENO. Deux nouveaux styles donc, presque immédiatement frères ennemis. La New-Wave (synth-pop pour les intimes) d'un côté, la musique industrielle (indus pour les intimes) de l'autre. ULTRAVOX, The HUMAN LEAGUE et Gary NUMAN contre THROBBING GRISTLE, CLOCK DVA et CABARET VOLTAIRE. Il y eut cependant une courte période où la frontière fut trop ténue pour être clairement distinguée, comme un bref moment d'hésitation dans ce brouillis de rythmes binaires et de triturages électriques. Et c'est sans-doute à The NORMAL que revient le droit de l'incarner en premier lieu.

Il est étonnant qu'un artiste à la carrière si peu prolifique ait marqué à ce point son époque. Daniel Miller, sous le pseudonyme de The NORMAL, ne sortira qu'un seul et unique disque en 1978. Et encore, T.V.O.D. / Warm Leatherette n'est même pas un album, mais un single ! Seulement deux pistes au compteur ! Deux ridicules petites pistes ! Un single, un stupide single. Néanmoins très loin d'être insignifiant ! T.V.O.D. / Warm Leatherette, c'est du punk sur une chaîne de montage. Les guitares, la batterie, tout ça coûte trop cher. Le futur, c'est bien la robotisation, l'électronique à outrance. Les mêmes gestes, la même cadence, le même cycle infernal. "T.V.O.D." consommera la même merde de synthèse jusqu'à la pourriture des veines, "Warm Leatherette" se branle dans la carcasse calcinée d'une voiture accidentée. Répétition, répétition, répétition, répétition froide et implacable. Plaisirs malsains. Les SEX PISTOLS ne voient aucun futur, The NORMAL en accepte un, blanc javellisé et chirurgicalement ordonné.

Entre indus, électro et new-wave, Daniel Miller réussit un tour de force qui laissera des traces. T.V.O.D. / Warm Leatherette est à la jonction du mouvement punk, de THROBBING GRISTLE, de SUICIDE et des SILVER APPLES. "Warm Leatherette" s'inspire par ailleurs de Crash, roman de J.G Ballard paru en 1973, histoire d'une communauté sexuellement fascinée par les accidents de voiture.

The NORMAL s'arrête net après la sortie du single. Persuadé de passer inaperçu, Miller commande à Rough Trade un pressage à cinq cents exemplaires. Le label revoit les chiffres à la hausse, on en presse plutôt deux mille. Il s'en vendra finalement plus de trente mille sur le label que Daniel Miller vient de fonder, Mute Records, promis à un bel avenir. "Warm Leatherette", qui parle quand même de baise dans une voiture en flammes, est aujourd'hui l'une des chansons d'électro les plus reprises au monde.