Le Semba est une musique typiquement angolaise, née à Luanda, la capitale, dans les années 40. Elle est dès ses débuts synonyme de contestation contre le colonisateur portugais. Si elle se nourrit de rythmes bantous, elle est ouverte à d'autres influences : européennes, et sud-américaines. Cela donne une musique à la fois très typée, mais pleine de sonorités familières. Une musique accessible, donc, mais réelle, avec des racines ancrées dans une culture, et une ouverture liée à son histoire. Pas du genre de cette « World Music » mainstream conçue pour le marché européen dans les années 80.

José Adelino Barcelo de Carvalho, dit « BONGA KUENDA », dit « BONGA », est un des interprètes majeurs du Semba, et ce depuis longtemps. L'homme vient tout de même de fêter ses 74 ans ! Lorsque l'on évoque BONGA, on retient : son passé de champion du 400 mètres du Portugal (sic) ; son affiliation à la résistance contre l'envahisseur ; son exil aux Pays-Bas, en 1971, lorsque le colonisateur découvrit que le champion était également résistant ; l'enregistrement d'un album magnifique et fondateur du « style » BONGA : Angola 72 en... 1972.

BONGA, c'est avant tout une voix. Chaude, puissante, rauque, voire enrouée, et toujours à la limite de la fêlure. L'émotion qu'elle charrie vous touche dès les premières notes, et ne vous lâche plus. Dans un domaine totalement différent, c'est une voix qui peut s'avérer aussi bouleversante que celle d'un Little Jimmy SCOTT, par exemple. Ils sont extrêmement rares, les chanteurs dont on peut dire qu'ils ont un timbre réellement unique, inimitable. C'est le cas de BONGA, qui vous emporte toujours avec lui, sur des tempi lents ou endiablés. Une voix très belle et également très nostalgique, qui est sa marque de fabrique. Cela pourrait même lui être reproché, cette facilité à nous conduire aux larmes. Mais en même temps, que peut-on faire d'une voix pareille, à part en jouer ? Eternel exilé, BONGA ne reviendra plus vivre en Angola après son exil forcé. Il restera en Europe, rejoindra la France, puis le Portugal, pays de la « saudade », cette mélancolie – encore – qui irrigue le Fado... comme le Semba de BONGA.

Que chante t-il ? A ma grande honte, je ne parle aucune langue me permettant d'en juger directement. Il semble toutefois qu'il s'agisse de réalité sociale, de voyages et d'océans, de l'Angola, mais aussi de sa vie d'exilé.

La musique, chaleureuse et volontiers chaloupée paraît simple, mais elle n'est que dépouillée. Guitares acoustiques, basse, percussions, parfois un accordéon. BONGA lui-même est percussionniste. Il privilégie toujours des accompagnements discrets, précis : qu'il utilise une sorte de long guiro, semblable à un reco-reco brésilien, ou frappe des congas, c'est toujours sans ostentation. Sur cette base orchestrale peut s'ajouter quelques traits de trompette, de violon ou de flûte, ou un accompagnement au berimbau, l'arc musical, également brésilien. Le lien entre le Brésil et l'Angola est fort. Une langue commune, la musique, la capoeira. Les angolais ont été déportés en masse comme esclaves, autre particularité locale de cette région du monde dont l'histoire est tout de même très sombre.

Ce disque est à l'image de BONGA. Généreux, nostalgique, conçu avec finesse et dextérité. BONGA, à 74 ans, n'a rien perdu de sa superbe. Si l'album n'a pas la force ni la colère d'Angola 72, il reste bon. Il suffit d'écouter « Agua Raz », « Anangola » ou « Outros Tempos » pour être touché droit au cœur, pour ceux qui en ont un. Quant au titre « Sodade, Meu Bem, Sodade », il nous permet de rappeler que BONGA, bien avant Cesaria EVORA, a chanté « Sodade ». « Sodade » angolaise ou « Saudade » portugaise, rien de tel qu'un tire-larmes de temps à autre.