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1958 1 Lady In Satin

Billie HOLIDAY - Lady In Satin (1958)
Par LE KINGBEE le 13 Janvier 2023          Consultée 663 fois

La vie de Billie HOLIDAY a donné lieu à deux biopics : Lady Sings The Blues en 1972 avec Diana ROSS, un film bien édulcoré dans la plus pure tradition hollywoodienne, et en 2021 The United States vs Billie Holiday avec Andra Day, un biopic truffé d’erreurs et cherchant en priorité le sensationnel. Les lecteurs amateurs d’exhaustif peuvent aussi se pencher sur son autobiographie, recueil mélangeant biographie et d’anciennes interviews regroupées par le journaliste William Dufty.

Grosso modo, la vie de la Diva pourrait s’apparenter à celle de Cosette ou d’Etta JAMES. Une enfance malheureuse passant par la case maison de correction à dix ans, violée à onze ans, femme de ménage dans un bordel à treize ans, divers éléments qui laissent inaugurer une suite assez tortueuse. A quinze ans, elle chante dans des boîtes clandestines où elle est remarquée par le producteur John Hammond qui lui permet d’enregistrer ses premières faces en compagnie de Benny Goodman. Elle enchaîne auprès des meilleurs musiciens (le pianiste Teddy Wilson, les saxophonistes Lester Young et Ben Webster) puis intègre quelques-uns des meilleurs orchestres du moment (Count BASIE, Jimmie Luncerford et Artie Shaw). Sa notoriété grandit subitement en 1939, suite à l’enregistrement de "Strange Fruit", chanson sur le lynchage. Au début des forties, elle met en boîte "God Bless The Child", un carton qui se vend à plus d’un million d’exemplaires.
Si HOLIDAY signe un excellent contrat avec Decca en 1944, la suite ne s'avère qu’une accumulation d’infortunes : condamnations multiples pour possessions de produits stupéfiants, passages en cure de désintoxication, harcèlement du FBI, le tout rythmé par d’innombrables ruptures sentimentales débouchant sur une vie personnelle des plus chaotiques. Il lui faut attendre 1954 pour participer à sa première tournée européenne. En 1959, elle tente un retour en Europe malgré une santé de plus en plus défaillante. Victime d’une cirrhose du foie et d’une vie pleine d’excès, Billie HOLIDAY décède en juillet à l’âge de 44 ans.

Antépénultième album de Billie HOLIDAY, Lady In Satin reste aussi celui de la controverse pour de nombreux journalistes de l’époque. Enregistré lors de quatre sessions s’étalant entre le 18 et le 21 février 1958, le disque apparaît dans les bacs en juin. HOLIDAY est placée sous la houlette d’Irving Townsend, un ancien chef d’orchestre de Jazz passé par la case publicité, un bonhomme qui se fera connaître dix jours plus tard en produisant l’album Kind Of Blue de Miles DAVIS, l’un des disques de Jazz parmi les plus vendus au monde. Derrière les consoles, la Columbia place le prolifique Fred Plaut, l’ingé-son qui a à lui seul enregistré 90% de la série Columbia Masterworks*. Townsend fait appel à Ray Ellis, un ancien saxophoniste cumulant les fonctions d’arrangeur chef-d’orchestre qui vient de seconder les chanteuses LaVern Baker et Jennie Smith, un touche-à-tout que la RCA n'a pas jugé bon de garder.
L’orchestre d’Ellis compte dans ses rangs quelques-uns des meilleurs musiciens ayant œuvré au sein de l’orchestre philarmonique de Philadelphie ainsi que, pour une autre moitié, des virtuoses issus du Jazz. Cette combinaison bourrée de cordes va hélas s’avérer un passe-partout aussi insipide qu’ennuyeux. En fait, il s’agit là d’une lubie de la chanteuse, à l’origine l’orchestre devait être confié à Nelson Riddle. Dans l’esprit de la chanteuse, l’orchestration, les arrangements et le répertoire devaient marcher sur les pas des dernières productions de SINATRA et d’Ella FITZGERALD, une combinaison appétissante si elle avait été réussie. Autre bémol et pas des moindres, si le timbre d’HOLIDAY reste stylisé à l’instar de nombreuses chanteuses de Jazz Vocal du moment, la voix semble comme usée par les années et comme fatiguée par les abus de drogues et d’alcool.

La connexion avec SINATRA est palpable dès le titre d’ouverture "I’m A Fool To Want You". Ballade Bluesy pleine de spleen, le titre est gorgé d’une bordée de cordes débouchant sur une orientation aussi mélo que barbante. Seule la trompette bouchée de Billy Butterfield parvient à nous sortir de notre léthargie. Un titre au tempo mollasson et une interprétation, selon nous, bien inférieure à celles de Peggy LEE, de Robin McKelle ou de l’instrumental d’Illinois Jacquet.
Bien maligne, la Columbia refourgue une de ses anciennes ballades avec "For Heaven’s Sake" enregistrée dix ans plus tôt par Fran Warren. On peut penser qu’Elise Bretton, co-auteure du morceau et choriste sur les quatre sessions, a suggéré sa chanson. La mélodie sonne ultra-datée et Billie HOLIDAY ne parvient à aucun moment à capter véritablement l’attention des auditeurs. Si le titre connaît quelques bonnes versions instrumentales (Wes MONTGOMERY, Art BLAKEY, Bill Evans), avouons qu’on est loin du compte ici.
Composé à l’origine pour figurer au générique de "Keep’ Em Flying", un nanar avec le duo comique Abbott & Costello, "You Don’t Know What Love Is" ** avait connu de bonnes versions via Dinah Washington ou Anita O’DAY. Là, la Diva distille un magma mélodramatique repu de violonades fortement daté.
HOLIDAY nous offre un voyage dans la machine à remonter le temps avec "I Get Along Without You Very Well", une vieille soupe des années trente d’Hoagy Carmichael. On a parfois l’impression que la chanteuse mastique une petite boule d’essuie-tout. Le chant chaotique tressaute à plusieurs reprises. Une interprétation qui fait pale figure à côté de celles de Peggy LEE ou de Rita Moreno. N’enfonçons pas plus le couteau dans la plaie !
On remonte encore plus loin avec "For All We Know", autre titre thirties gravé par les Andrew Sisters et Nat King Cole. Il suffit d’écouter la version d’Ethel Ennis enregistrée quelques mois plus tard pour se rendre compte que Billie HOLIDAY était au bout du rouleau.
Avec "Violets For Your Furs", une vieillerie des années quarante, on reste sur une lignée identique : des cordes, un chant limite chevrotant et une orchestration coupe faim. Si SINATRA avait repris la chanson dans une veine guère plus stimulante, on est à des années lumière des instrumentaux de John COLTRANE, Chet BAKER ou Nat Adderley.

Si vous pensez que la face B propose une autre trame, autant vous dire que vous croyez au Père Noël. "You’ve Changed", énième piste forties, repart sur les mêmes bases : un timbre usé par les écarts, une orchestration fastidieuse et lassante. Quand on écoute les instrumentaux de Yusef Lateef ou Jean-Luc Ponty, on se dit que les malentendants ne connaissent pas leur bonheur.
L’univers cinématographique est encore présent avec "It’s Easy To Remember", titre vieux comme Hérode illustrant la bande-son du film Mississippi, un navet avec Bing CROSBY et W.C. Fields. Si SINATRA a repris le titre, son vieux pote Dean MARTIN lui donne un petit coup de jeune, tandis qu’ici Ray Ellis semble flétrir la chanson à qui mieux-mieux.
Quand Billie HOLIDAY ne marche pas dans les pattes de SINATRA, elle se tourne irrémédiablement vers Bing CROSBY, telle l’aiguille de la boussole attisée par le Nord. Mais, comme le dit l’adage, une soupe reste une soupe. Les récentes reprises de Gregory Porter ou du duo Tony Bennett/Lady Gaga ne faisaient guère mieux.
Quand elle ne se tourne pas vers Hollywood, Lady Day s’inspire de Broadway comme en atteste "Glad To Be Unhappy", chanson au générique de la pièce musicale On Your Toes ; on reste dans une lignée similaire. A noter que, chez nous, Etienne DAHO reprendra le titre sur un E.P passé inaperçu. La monotonie continue avec "I’ll Be Around" ***, ballade défraîchie popularisée par Cab Calloway et dont Columbia détient les droits. Ray Ellis s’obstine à nous offrir une énième avalanche de cordes. Une version démodée et bien inférieure à celles de Doris Day, Lena Horne ou Dinah Washington.
Dernière piste, "The End Of A Love Affair" est une ballade sentimentale sonnant presque théâtrale. Encore une fois Ellis, fidèle à ses habitudes, nous immerge dans un torrent de violonades usées jusqu’à la corde, un comble pour cette famille d’instruments. Devant une orchestration et des arrangements aussi désuets qu’insipides, on en vient à se demander ce qui aurait pu advenir de ce morceau si Billie HOLIDAY avait été accompagnée par Wes MONTGOMERY, Dexter GORDON ou Winton Marsalis, tous trois auteurs d’excellents instrumentaux Jazzy.

Ne tirons pas sur l’ambulance plus que nécessaire, ce Lady In Satin se retrouve incroyablement plombé par un chef d’orchestre à la ramasse, une production s’appuyant sur un orchestre gros comme un moine, une chanteuse à bout de souffle, le tout débouchant sur un répertoire terne d’une incroyable monotonie. On peut se demander si Lady Day n’a pas voulu mettre en pratique Chanson d’automne de Verlaine, poème rendu célèbre par ses passages à la TSF précédant le Débarquement : les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. Un vrai fiasco édité dans plus de 150 versions, de l'or en barre pour la Columbia.


*Suite au rachat de Columbia par CBS en 1980, cette célèbre série est baptisée CBS Masterworks Records avant de se transformer en Sony Classical Records suite à l’absorption de Sony Corporation en 1990.
**Titre homonyme à ceux de Fenton Robinson et Jack White.
***Titre homonyme à ceux d’Howlin’ Wolf, Thom Bell.

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   (2 chroniques)



- Billie Holiday (chant)
- Barry Galbraith (guitare)
- Milt Hinton (contrebasse)
- Osie Johnson (batterie)
- Mal Waldron (piano)
- Mel Davis (trompette)
- Billy Butterfield (trompette)
- Bernie Glow (trompette)
- Jimmy Ochner (trompette)
- Urbie Green (trombone)
- Jack Green (trombone)
- Jj Johnson (trombone)
- Tommy Mitchell (trombone)
- Danny Bank (flûte)
- Phil Bodner (flûte)
- Roméo Penque (flûte)
- Tom Parshley (flûte)
- Janet Putman (harpe)
- Maurice Brown (violoncelle)
- David Soyer (violoncelle)
- Emmanuel Green (violon)
- Harry Hoffmann (violon)
- Harry Katzmann (violon)
- Léo Kruczek (violon)
- Milton Lomask (violon)
- Harry Meinikoff (violon)
- David Newman (violon)
- George Ockner (violon)
- Samuel Rand (violon)
- David Sarcer (violon)
- Sidney Brecher (violon alto)
- Richard Dichler (violon alto)
- Elise Bretton (chœurs)
- Miriam Workman (chœurs)


1. I'm A Fool To Want You
2. For Heaven's Sake
3. You Don't Know What Love Is
4. I Get Along Without You Very Well
5. For All We Know
6. Violets For Your Furs
7. You've Changed
8. It's Easy To Remember
9. But Beautiful
10. Glad To Be Unhappy
11. I'll Be Around
12. The End Of A Love Affair



             



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