Encore un groupe éphémère quasiment inconnu chez nous. Véritable météorite, TRIFLE voit le jour à la fin des sixties à l’instigation de George Bean (aucun lien avec Mister), ancien chanteur de George Bean & The Runners. Bean n’est pas totalement inconnu sur la scène anglaise, il a enregistré entre 1963 et 1965 quatre singles pour Decca qui n’ont connu aucun succès. Le second microsillon était pourtant produit par Andrew Loog Oldham, un jeune producteur filou qui se fera bientôt connaître en manageant les STONES. En 1966, il fonde Bean & Loopy’s Lot avec à la clef un single édité par parlophone ; le microsillon fait un tel bide que la formation est aussitôt dissoute. Entre 1967 et 68, Bean parvient à intéresser le producteur Mark London, enregistrant deux 45-tours pour la CBS, microsillons qui ne connaissent pas plus de réussite que les précédents.
Fin 68, George Bean décide de retenter sa chance avec TRIFLE, formation dans laquelle le rejoignent Pat King, John Hitchen, Rod Coombes, John Pritchard, Alan Morris et Barrie Martin. Le septette enregistre un single pour le label United Artists comprenant une reprise des BEATLES avec l’arrivée d’un huitième membre en la personne du saxophoniste autrichien Hubert Grillberger, ancien membre du groupe espagnol Máquina. Si le single ne cartonne pas dans les charts, il attire l’attention de PYE Records, label anglais qui édite alors à tout va.
Durant l’été 70, la formation subit quelques changements de personnel avec les arrivées du claviériste Alan Fealdman, du batteur Brian "Chico" Greenwood, tous deux anciens membres de Jasper, et du trompettiste Dick Cuthell. Le groupe enregistre un premier 45-t. avec "Devil Comin’" couplé à "Old Fashioned Prayer Meeting". Le 45-t qui connaît un petit succès en Angleterre se retrouve distribué en France par Vogue. La longueur de la face A (7 minutes 40) ne permet pas au disque de se faire une place au soleil auprès des radios françaises toujours aussi frileuses en matière de format non conformiste.

Cet engouement encourage cependant PYE à poursuivre l’aventure en envoyant TRIFLE à Londres dans ses studios de Marble Arch, là où GAINSBOURG enregistrera "Ballade de Melody Nelson". Enregistré en novembre First Meeting apparaît dans les bacs en février 71 sous la bannière de Dawn Records, filiale de PYE. Placé sous la houlette de John Schroeder, producteur-arrangeur-compositeur passé par la Columbia et grand passionné de Jazz. Schroeder se montre intéressé par le projet de George Bean. Dépositaire d’un solide C.V., il a déjà produit STATUS QUO, The TIMEBOX, The Sorrows, Man et Geno Washington. Parallèlement à ses activités, le producteur joue également au sein de The City Of Westminster String Band et sa vision audacieuse du Jazz Rock correspond en tout point avec cette de Bean et Cuthell, les deux têtes pensantes de TRIFLE. Les séances d’enregistrement bénéficient pleinement de la présence derrière les consoles de Geoff Calvert, ingé-son connu pour ses collaborations avec DEMON FUZZ, STEAMHAMMER.

Si, en Angleterre, Mungo Jerry avec "In The Summertime", George HARRISON avec "My Sweet Lord" ou SIMON & GARFUNKEL avec "Bridge Over Trouble Water" trustent les charts, chez nous Joel Daydé cartonne avec "Mamy Blue", TRIFLE prend une orientation totalement différente, rejoignant la piste du Jazz Rock, à l’image de Keef HARTLEY, IF, TEMPEST, PATTO, Nucleus ou Colosseum. La pochette foncée et peu porteuse (le groupe est au fond d’un fortin éclairé par un puits) ne renseigne aucunement sur le registre, on devine seulement que la formation évolue en septette.

TRIFLE propose un répertoire assez personnel avec pas moins de six co-écritures, Bean, King et Cuthell étant les plus gros pourvoyeurs. "Alibi Annie" ouvre les hostilités avec un inquiétant pizzicato de guitares bientôt renforcé par la chaleur d’une section cuivre genre brass band et d’un clavier à la Jon Lord. "Is It Loud ?", un impressionnant et long Jazz Rock instrumental de 8 minutes, nous rapproche de l’univers de ZAPPA, si les cuivres s’offraient jusque là la meilleure part du gâteau, cette fois tous les instruments sont en symbiose.
"New Religion" ♯ s’ouvre avec des volutes d’orgue qu’on croirait sortis tout droit d’un film de Dario Argento ou d’un EMERSON LAKE & PALMER. Des incantations vocales prennent le relais, suivies par une basse, des cuivres évocateurs des trompettes de Jéricho avant que le titre ne verse dans un mélange de Jazz Rock pâtiné de Free. Alors que trois des neuf pistes dépassent allègrement les 6 minutes, le disque se conclut étrangement avec le morceau le plus court "Candle Light", un Folk acoustique qui tranche avec le ton général.

Trois reprises agrémentent l’album : "Home Again" *, une compo de Bob Berkowitz préalablement gravée par le groupe new-yorkais Archie Whitewater, met en lumière les influences R & B du groupe. La basse impulse un confort plein de rondeur, tandis que les cuivres pétaradent à fond la caisse, s’octroyant cependant des passages plus tempérés. Si la guitare et la basse tentent d’instaurer un décor Groovy, le chant et les cuivres proches de ceux de BLOOD SWEAT AND TEARS font le pont entre Jazz et Pop sur "One Way Glass", titre de MANFRED MANN. Si le morceau figurait sur l’éponyme Manfred Mann Chapter Three, la rumeur prétend que le bon Manfred Mann reprendra son titre deux ans plus tard sur l’album Glorified Magnified, la voix étrange de Mike Hugg et les arrangements de Derek Wadsworth étant bien inférieurs à la reprise de TRIFLE. Troisième et dernière cover avec "But I Might Die Tonight" de Cat STEVENS. Par rapport à l’original, le piano et les cuivres prennent l’ascendant sur les guitares mais le titre reste légèrement bancal par rapport à l’ensemble, reste la qualité du texte, malheureusement et ironiquement prémonitoire.

Mais comment ne pas terminer avec les deux titres du single, tous deux incorporés en face B? Si le piano entame les premières mesures de "Old Fashioned Prayer Meeting" à la manière d’un Gospel, la basse et la guitare épaulées par des cuivres retentissants bifurquent habilement vers un R&B hyper groovy, sans lien avec son presque homonyme "The Old Fashioned Meeting", ancien hymne méthodiste d’Herbert Buffin. La frontière est parfois très mince entre la musique évangélique et celle du Diable, "Devil Comin" conjugue habilement des licks de Jazz à une Soul Blues tribale gorgée de percussions, apportant un effet hypnotique. Sur un morceau de presque 8 minutes, l’orgue propose un délicat tapissage, tandis que la guitare s’engouffre dans un solo débridé de fuzz alors que la trompette semble sonner le rappel renforcé par une cloche pleine d’abnégation.

A sa sortie, ce premier jet produit sans chichi recueille les éloges de la critique. Malheureusement, l’aventure de TRIFLE, traduisible par Bagatelle, s’arrête par un triste coup du sort avec le décès prématuré de George Bean en avril 72. En dehors du titre de fermeture qui fait office de remplissage, la cohésion, la qualité du chant et un répertoire novateur font de ce disque une pièce à découvrir ou redécouvrir. Parmi les membres du groupe, on retrouvera le guitariste Pat 'Speedy' King au sein de Shangaï et du MANFRED MANN EARTH BAND, tandis que Dick Cuthell deviendra un souffleur de session très demandé (THIRD WORLD, BURNING SPEARS, XTC, The POGUES, EURYTHMICS). Si le vinyle Dawn se négocie entre 80 et 200 € selon l’état, le label Esoteric Recordings a réédité la galette au format CD avec deux bonus : une seconde version de "Old Fashioned Prayer Meeting" et "Dirty Old Town" sans lien avec le standard Folk d’Ewan McColl popularisé par les DUBLINERS, Rod STEWART et The POGUES.

Note réelle 3,5.

*Titre homonyme à celui de Carol King.
♯Titre homonyme à celui de Duran Duran.