Warf, cette pochette. Non mais vous y croyez, vous ? Une poêle avec, dans l'ordre, un œuf au plat, un poussin mort, et un autre poussin, cette fois bien vivant. Qu'est-ce qui faut pas faire pour attirer le chaland, sans déconner... certes, on navigue dans les eaux d'un rock contestataire et provocateur, prêt à choquer, mais en toute franchise, ça reste horrible comme image. À titre de comparaison, Birth Control choquait avec des références à la pilule du lendemain et des illustrations moches, mais on peut en rire de nos jours, voire trouver ça positivement innovant. Mais ÇA, c'est toujours non. Qu'on soit un végan déterminé ou un viandard stupidement obstiné.

Au fait, qui est derrière ça ? Ah oui, tout un paragraphe et le Walter qui n'est même pas foutu de parler du groupe, bravo le veau. On parle donc du visuel du premier album du groupe allemand EULENSPYGEL, une formation qui aura suffisamment réussi à faire parler d'elle à ses débuts. En 1971, après un premier album en anglais publié sous le nom de We, les musiciens originaires de Reichenbach sortent un opus résolument krautrock, et en allemand, bitte. Pour assurer la continuité avec le précédent disque, EULENSPYGEL nomme aussi son premier album « 2 », ce qui risque d'ajouter un peu en confusion. Après, on peut toujours parler de « l'album aux poussins morts », si vous voulez.

Le problème avec ce premier EULENSPYGEL, est le même que pour les smartphones : à force de délayer tout autour, on en oublie le principal, c'est-à-dire la musique ici. EULENSPYGEL, c'est donc du krautrock pur choucroute, options Hammond et jazz ici. Mais attention, il s'agit plus d'éléments – d'importance non négligeable certes – mêlés à une base rock bien caractéristique. Pas de mise en avant de l'orgue, donc, plutôt une musique encore bien guidée par les guitares. Et oui, on n'est pas chez Action ou Prof Wolfff, pas de claviers qui bouffent tout, mais un équilibre instrumental bien pensé et écrit, où seul le chanteur Mulo Maulbetsch est lésé – mais en krautrock, c'est pas un drame en soi.

EULENSPYGEL, c'est donc formellement bon. Fondamentalement, c'est une autre paire de manches. 2 est un album de krautrock honnête, que les experts du genre auront plaisir à découvrir et aimer, mais qui est loin d'être aussi important qu'un Neu! ou aussi abouti qu'un Wallenstein. La faute à une écriture inégale, la majeure partie du temps. "Till" expose bien le problème : l'intro incisive et les couplets inspirés sont malheureusement flingués par un refrain incroyablement pourri, tout droit issu du côté pop des années 60 dans ce qu'elles avaient de plus kitsch. Ailleurs, on retrouve une tare bien répandue chez bien des formations krautrock, à savoir la gestion des longueurs, ou plutôt le manque de gestion. "Staub auf deinem Haar" ou "Das Lied vom Ende" ne sont certes pas nantis de trop grosses longueurs, mais il faut bien admettre qu'un petit élagage n'aurait pas été superflu.

Mais c'est un poil malhonnête de se concentrer là-dessus. Car 2, c'est aussi des morceaux d'artistes nullement effrayés par l'engagement politique ("Son My", "Konsumgewäsche"), contenant des passages qui méritent à coup sûr l'intérêt de l'auditeur. J'ai déjà parlé plus haut de "Till", dont seuls les refrains puent, mais il y a aussi les pavés parcourant l'album, et qui montrent qu'EULENSPYGEL sait être virtuose et inspiré quand il le faut. Pleinement rock (sauf sur la partie instrumentale de "Konsumergewäsche", complètement jazz), le groupe mise sur des impros aux guitares féroces, avec des flutes et autres violons pertinents et apportant une variété plus que bienvenue.

C'est avec un album comme celui-là qu'on en vient à regretter deux choses. D'une, que les productions krautrock soient dans leur écrasante majorité faiblardes – mais on peut le comprendre pour un genre underground et donc par définition trop fauché pour prétendre d'emblée au meilleur. De deux, que l'exposition médiatique, justement, n'ait pas mieux mis en avant EULENSPYGEL, qui détient là un petit flambard qui aurait attiré l'oeil. Mais c'est pas grave, car l'Histoire sait rattraper (en partie) ses erreurs.