Parfois un disque n’est pas juste une succession de chansons ou de notes, ça peut aussi devenir un vrai voyage auditif. Généralement quand c’est le cas, c’est un régal. C’est que l’artiste a réussi à nous déplacer mentalement sans qu’on bouge de notre fauteuil. Ici, c’est encore plus fort, car la petite SOMI, jeune chanteuse et pianiste de jazz (ça c’est sur la carte de visite, la réalité est tout autre) réussit le prodige de nous faire effectivement voyager, et en prime de nous annoncer clairement la destination, à savoir Harlem... mais complètement paumer le voyageur malgré lui, et ce dès le premier vrai titre, une revisite très large d’un classique de STING, jouée et chantée de façon triste, suspendue dans le temps, vaporeuse. Nous ne sommes ni dans le Harlem auquel on s’attend, ni au coeur de l’Afrique qui devrait en toute logique être notre point de départ : non, SOMI réussit sur tout le disque à faire naître autour d’elle un paysage imaginaire, inédit. On dit souvent que l'important d'un voyage n'est pas la destination, vous allez en avoir en une heure une brillante démonstration.

Il y a bien des bribes, des petites choses que l’on reconnaît, ou croit reconnaître, au détour d’un pâté d’immeubles : de légers accents soul (pensez Stax 60) sur "Black Enough", "The Gentry" qui est l’unique titre véritablement jazz, mais un jazz qui se... savanise, à défaut de trouver un autre terme. On a du world pur, de la new age sur des interludes parlés tout à fait hypnotisants, du post-rock sur un envoûtant "Like Ghosts", et puis vers la fin de l’excursion, un "Like Dakar" qui mélange l’Afrique fantasque et vaudou de John Boorman et... euh, la classe pastorale britannique du... ben du Excalibur de John Boorman. Fascinant.

Truffé de bons titres qui ne se ressemblent pas mais ont tous pour point commun une grande légèreté, une économie de moyens, et une interprète principale qui reste très souvent en retrait, "PETITE AFRIQUE" finira de convaincre les plus sceptiques sur "The Wild One" et "Midnight Angels" qui empruntent au céleste Joe JACKSON période "NIGHT & DAY". Il n’y a pas de hasard : mêmes ambiances pour même quartier urbain. Et presque même qualité. Venant du jazz et classé dans votre Lidl habituel à world music, "PETITE AFRIQUE" ne ressemble pourtant à rien de connu, et sûrement pas à ces deux genres pourtant assez larges. Un conseil : écoutez d’une traite, dans le noir. Laissez-vous vous laisser complètement paumer. C’est bon de ne pas savoir où l’on va.