Encore un CD qui devrait permettre à votre humble serviteur de décrocher au moins un Top Ten dans la catégorie « pochettes ringardes, bling bling, tartignoles » et j’en passe. Mais à y regarder de plus près, si cette pochette a priori un brin tocarde peut prêter à sourire, elle a le mérite d’annoncer la couleur. On y voit un bonhomme souriant tenant un accordéon triple rang, de marque Dino Baffelli, excusez du peu, et, derrière, un paysage évoquant les marécages louisianais. Si cela ne vous saute pas aux yeux, le nom du groupe et le titre de l’album devraient mettre l’auditeur lambda sur la bonne piste. On a là entre les mains ou devant les yeux, une pochette typique du registre Zydeco.

Chubby CARRIER est issu d’une grande famille de musiciens louisianais. Une fratrie dans laquelle se sont illustrés ses arrières grands cousins Bebe et Calvin Carrier, son grand-père Warren et enfin son paternel Roy. En clair, avec les Chenier, les Ardoin et les Delafose, les Carrier figurent parmi les plus grandes familles de musiciens louisianais.
Chubby est originaire de Churchpoint, une bourgade située au centre d’un carré constitué de Lafayette, Eunice, Opelousas et Crowley, soit une base névralgique de l’Acadie. Né en 1967, Chubby se lance dans l’apprentissage du frottoir (washboard métallique) alors qu’il est encore en culottes courtes. Il passe ensuite à la batterie, plus fun, avant de se mettre à l’accordéon sous la houlette de son paternel. A 12 ans, il intègre l’orchestre de son père officiant aux baguettes. A 17 ans, l’adolescent part en tournée avec l’accordéoniste Terrance Siemien pendant deux ans, une période initiatique qui lui permet de se confronter à la rude scène Zydeco. Chubby monte ensuite son premier groupe avec ses frangins Kevin et Troy avant de fonder le Bayou Swamp Band à l’orée des nineties. Accordéoniste virtuose, Chubby accompagne des artistes réputés, le trompettiste Calvin Owens, Tab Benoit, Jimmy Thackery et Doug Kershaw avant d’enregistrer « Bayou Road », son dixième album.

Si « Bayou Road » débute sur une tonalité de guitare fuzz et funky agrémentée d’un frottoir, l’accordéon se met en branle au bout d’une minute, imprimant au morceau un rythme de two-step moderne et novateur. Les two-step justement parlons-en, ce sont les figures de proue de plusieurs titres : l’endiablé « Can’t Wait To Get Back To Louisiana » entrecoupé d’un bref passage de slide, « I Don’t Know What You Come To Do » toujours transpercé par la guitare fuzz de Dwayne Dugas, le moderne « Bad Bad Girl » gorgé de Soul.
Chubby demeure néanmoins respectueux des schémas traditionnels, « We Make A Good Gumbo », une invitation à déguster un bon gumbo, s’inscrit résolument vers le répertoire de Clifton Chenier. Si les two-step figurent comme la trame principale de l’album, l’accordéoniste ne reste pas figé les deux pieds dans le même sabot. « Get In The Pocket » nous renvoie vers une valse New Orleans dans laquelle, piano, trompette, clarinette et saxophone délivrent un nappage festif et dansant.

En Zydeco, la tradition veut qu’il y ait souvent des titres plus tendres, plus smooth. Ces pièces sont généralement destinées à faire reposer les couples de danseurs, voire aussi de permettre la création de nouveaux couples, car n’oublions pas, le Zydeco demeure avant tout une musique de danse. « Soul Eyes » avec son saxophone langoureux s’inscrit pleinement dans cette démarche.
Sans pour autant verser dans le New Zydeco, « Don’t Tell Me Lies » tient autant de la Soul que de la Pop avec un rythme oscillant toujours entre slow et mid tempo.
« Cisco Kid » lorgne plus vers le Zydeco Blues, les cuivres contribuant à apporter un accent Tex Mex. Bien qu’il diffuse une connotation cuivrée, l’humoristique « Who Stole The Hot Sauce » s’oriente vers une sonorité combinant le Zydeco rural et le Tex Mex, dans laquelle Chubby Carrier nous fait part de son émoi, il n’arrive pas à remettre la main sur son flacon de Tabasco pour agrémenter son plat.
Le groupe nous assène une petite surprise avec la reprise des Who « Squeeze Box » distillé à la mode louisianaise, sous forme de two-step modéré. Mais cette trouvaille avec zestes de Polka n’est pas étonnante quand on sait que Pete Townshend incorporait de l’accordéon dans sa reprise du titre figurant dans l’album « Scoop ». Toujours est-il que sur ce titre, le Bayou Swamp Band surprend en nous délivrant une version pittoresque, bien supérieure aux essais de Laura Branigan, Adam Faith ou Freddy Fender ou de Sheryl Crow, à notre sens bien meilleure chanteuse qu’accordéoniste.

Terminons ce panorama avec deux pièces sortant véritablement du lot : « Sauce Piquante Zydeco » et le démentiel « Father Of Fun », un two-step dévastateur capable de faire lever de sa chaise le premier cul-de-jatte venu pour se trémousser comme un dingue et entamer une danse de Saint-Guy.

Accordéoniste virtuose et chanteur expressif capable de moduler son timbre selon les tempos, Chubby Carrier est ici épaulé par la crème de la nouvelle scène Zydeco : le bassiste Corey Duplechin (futur membre du groupe de Tab Benoit) grand maître du groove, le batteur A.J. Bellow (le rejeton de Chubby), le frotteur Earl Sally, le guitariste Dwayne Dugas et un parterre d’invités venus donner un coup de main. Produit sans surenchère et enregistré par Ivan Klisanin (Feu Follet, Horace Trahan, Beausoleil, The Revelers) cet album figure dans le peloton de tête des productions Zydeco du nouveau millénaire. Signalons pour l’anecdote que Chubby remportera un Grammy Award (et ce quelle que soit l’importance que l’on attache à ce genre de récompense) trois ans plus tard, un beau pied de nez aux poids lourds de l’Industrie du Disque.