Sven ZETTERBERG, tristement décédé en 2016, reste une icône du Blues Scandinave. Originaire de Skärblacka, petite bourgade suédoise à quarante bornes de Norrköping, Sven voit le jour en 1952. Il ne connaitra pas une enfance très heureuse, sa mère quitte le foyer familial à ses dix ans et la seconde épouse de son père ne s’intéressera jamais à lui. Ajoutez au tableau le décès de son frère Ingvar suite à une overdose et vous avez devant les yeux une gravure digne de figurer dans les Misérables. Peut être faut-il voir là une connexion directe avec une passion pour le Blues, domaine dans lequel Sven s’illustrera.

Il se lance dans l’apprentissage de l’harmonica à douze ans, en écoutant I Blueskvarter, une émission radio suédoise qui lui fait découvrir Little RICHARD et Big Walter Horton. Au milieu des années 70, il intègre the Telge Blues Band, une petite formation basée à Södertälje, à une demie heure de route de la capitale. Le combo sert de backing band aux nombreux bluesmen américains venant se produire à Stockholm et enregistre un album. Ce n’est l’âge de 24 ans qu’il décide de se mettre à la guitare, instrument qu’il maitrise totalement au bout d’un an. Quand il ne conduit pas une fourgonnette pour la Poste Suédoise, Sven se produit sur tout le territoire et devient professionnel en 1985, quittant les services postaux afin de se consacrer à son art. Prodigieusement doué, le suédois enchaine dans plusieurs groupes, Blue Fire, Four Roosters et enfin Chicago Express avec lequel il grave quatre albums entre 1990 et 96 avant de s’envoler pour une carrière solo en 1999.

Neuvième album studio sous son nom, Something For Everybody nous propose un délicieux creuset entre Blues, Soul et R&B, un univers dans lequel Zetterberg gravite depuis longtemps. Enregistré à Stockholm en octobre 2015 au Real Music Studios de Per Angkvist, lieu connu pour avoir accueilli Mike SANCHEZ, Knockout Greg & Blue Weather ou The Maggots, cet opus de treize titres dévoile six nouvelles compositions. La pochette nous renvoie vers certaines illustrations de pochettes de Jazz éditées durant les sixties. Si la production s’avère terriblement soignée, la cohésion entre les différents intervenants est frappante ; il est vrai que Sven retrouve d’anciens compagnons de route comme le contrebassiste Mickael Fahleryd (ex Bjorn Olsson) et le guitariste Anders Lewén, ce dernier également dans un rôle de coproducteur avec Sven.

Comme il le fait depuis quelques années, Sven délaisse quelque peu la guitare, laissant les rennes du manche à Anders Lewén sur quatre titres. Cela permet au guitariste de se concentrer sur la slide pour les titres Bluesy et aussi sur le chant qui intègre de plus en plus une coloration Soul.
Au rayon des originaux, Zetterberg nous concocte un répertoire particulièrement digeste. Le délicat et stylisé "Writer’s Block" tangue entre Soul et Blues, le chant éraillé de Sven est réhaussé par la choriste Elin Ruth. Changement total de cap avec "Don't Ever Leave Me" qui nous expédie dans une taverne du West Side de Chicago à grands coups de slide. Enrichi par un excellent nappage de cuivres, "The Small Talk Days Are Over" nous offre une belle invitation au voyage entre Texas et California Blues. Sur "Besides That", Sven reprend son rôle d’harmoniciste pour un low down blues proche de Jimmy Reed, tandis que l’orgue tisse une atmosphère crépusculaire. Si "My Blues Got Me Walkin'" le dévoile encore à l’harmonica, cette fois ci l’orchestration et le tempo nous renvoient vers la West Coast. Si la slide est encore présente sur l’instrumental "Do We Get The Chance To Play At Fasching Now?", le titre s’oriente résolument vers une ambiance Funky Jazzy magnifiée par le travail des percussions et du piano tandis que la guitare électrique de Lewén se révèle parfaitement complémentaire de la slide.

Les reprises triées sur le volet constituent un étincelant patchwork bien bigarré. C’est ainsi qu’en ouverture, les tendances Soul marquent une nette prise de position avec "Cry To Me". Sven diffuse une atmosphère feutrée, le timbre rocailleux s’éloigne de certaines versions trop guimauves; popularisé par Solomon BURKE, cette pièce intemporelle aura connu de superbes versions : Betty Harris, Candi STATON mais Sven s’en tire à merveille dans une orientation Soul Blues digne de celle de Johnnie Bassett. Une version qui fait oublier le massacre de Precious Wilson. Zetterberg rend hommage à Eddie Kirkland avec l’inusité "Pick Up The Pieces" *, titre qu’il a repris sur scène lors d’un show avec l’ancien équipier de John Lee HOOKER et du Wentus Blues Band. Le sax de Torbjörn Eliasson distille un refrain répétitif devenant vite obsédant dans lequel la guitare aérienne de Zetterberg vient s’engouffrer. Au fil des années, Zven est devenu de plus en plus à l’aise dans le registre de la Southern Soul comme en atteste "Once In A While (Is Better Than Never At All)", une compo de Quinton Claunch gravée par Spencer WIGGINS pour le label Goldwax. L’intro avec un orgue d’église saupoudré de chœurs, la gratte de Lewén, le sax de Tore Berglund et un timbre très Soulfull nous renvoie en plein territoire Deep Soul. Contrairement à l’accoutumée, pas d’intro de trompette sur "These Kind Of Blues" titre de Junior PARKER mais un bon passage d’harmonica pour ce Blues mid tempo à connotation texane. Titre le plus long de l’album, "Walk Out Like A Lady" se déguste comme un excellent Slow Blues, issu d’une compo de Larry Davis, l’auteur du hit "Texas Flood".
Zetterberg termine son album avec deux anciens hits : il nous renvoie en Louisiane avec "Mathilda", l’un des hymnes de la Swamp Pop popularisé par COOKIE & His CUPCAKES. Si le titre a fait l’objet de nombreuses reprises (Jerry Lee LEWIS, FABULOUS THUNDERBIRDS ou Lawrence « Black » Ardoin) Sven nous offre ici une petite sucrerie bienvenue qui contribue à apporter un peu de légèreté. Le rythme s’accélère avec "Treat Her Right", une compo de Roy Head qui grimpa sur la seconde marche des charts US au milieu des sixties. Si cette profession de foi en matière de drague fut souvent reprise, la présente version reste fidèle à l’original, Sven n’allant pas chercher inutilement midi à quatorze heures. Peut-être l’une des meilleures reprises avec celle de George THOROGOOD. Plus d’un demi-siècle après sa sortie, le tempo et les paroles font encore mouche avec cette invitaion à la danse : I wanna tell you a story - Every man oughta know - If you want a little loving - You gotta start real slow.

Produit sans fioriture, cet album permet de découvrir l’artiste sous divers horizons. La voix légèrement rauque débouche sur une crédibilité émotionnelle et une assise indiscutable. Les compositions nous proposent une trame cohérente particulièrement efficace, tandis que les reprises permettent de par leur diversité de faire un beau voyage au pays du Blues. Ajoutons-y un accompagnement sans faille, parfois vintage et on a entre les mains un excellent disque surfant entre Blues, Soul et R&B, comme l’annonce sans prétention le titre, il y en a ici pour tous les gouts.

*Titre homonyme à ceux de Carla Thomas et Average White Band.