100 ans que la Grande Guerre s'est achevée. 100 ans, un saut de puce à l'échelle de l'humanité, et il semble pourtant que la mémoire de la boucherie qu'a été ce conflit s'est éteinte en même temps que les derniers poilus. C'est pour cette raison que j'apprécie beaucoup le traitement que font de la Première Guerre Mondiale dans leurs paroles les groupes de punk-rock celtique. Dans la bouche de ces musiciens souvent contestataires, parfois carrément anarchistes, il n'est pas question de bravoure, de fraternité ou de l'importance de défendre une patrie ou un drapeau. Chez eux, la guerre reste ce qu'elle a toujours été : une ignominie sans bornes où la stupidité d'une poignée d'êtres humains en entraîne des centaines de milliers d'autres vers la mort. L'adaptation saisissante de la "Chanson de Craonne" par les BOOZE BROTHERS, chanson contestataire emblématique du conflit, témoigne de cette volonté des punks à kilt (et des autres) de continuer à présenter la guerre sous son vrai visage : un affrontement fomenté par les puissants pour servir des intérêts financiers.

Les DREADNOUGHTS, venus tout droit de Vancouver, ont mis près de six ans à donner naissance à ce Foreign Skies entièrement consacré à la Première Guerre Mondiale. S'agirait-il du premier concept-album punk celtique ? Rien n'est moins sûr, mais il est vrai que la démarche a de quoi surprendre. Pour autant, l'album n'est pas pompeux ni inutilement agrémenté de fanfreluches et autres interludes. Non, il s'agit bien de punk-rock celtique, teinté de polka, dans sa tradition la plus pure, qui voit férocité punk se mêler à des violons et un accordéon sautillant. On pense parfois à certains groupes folk traditionnels, notamment sur "The Bays of Suvla", qui traite du débarquement allié sur ce territoire ottoman, et évoque ostensiblement les GREAT BIG SEA, emblématique groupe également canadien.

Les ambiances se font variés, tout comme les thèmes abordés. "Foreign Skies", qui traite du départ des troupes indigènes (britanniques, australiennes, néo-zélandaises) vers les lieux de conflit, est saisissante de par son énergie contenue et l'alternance de ses ambiances, tour à tour furieuses ou célestes. Imparable. Plus mordant encore, "Daughters of the sun", qui évoque le rôle des suffragettes, se fait carrément radical avec son riff frénétique et son violon vindicatif.

"The Black and White", titre punk martial qui évoque les STANFIELDS, dégage une puissance qui fait écho sur toute la deuxième moitié de l'album, dont on retient essentiellement l'instrumental désespéré "A broken world", interprété au piano et doté d'une splendide mélodie, "Black letters", fausse ballade folk traitant de ceux qui sont tombés au combat, ainsi que le titre final, "Back home in Bristol", titre qui n'a rien à envier aux morceaux fondateurs du punk celtique. les DREADNOUGHTS ne révolutionnent rien, mais proposent une musique bariolée et des ambiances variées qui transforment l'album en un excellent moment que savoureront les amateurs du genre.

L'audace se retrouve dans l'idée de proposer un album-concept, et la richesse dans le savoir-faire. Ce quatrième album nous fait voyager, à travers des ambiances sombres ou exaltées, dont le point commun se retrouve dans la dénonciation de cette boucherie innommable qui s'est achevée il y a 100 ans. Un excellent album de polka-punk celtique.