Le "CD collector" 1995 ayant reçu globalement un bon accueil, que fît notre cher Ministère de la Culture l'année suivante ? Un remake, pardi ! Presque deux fois plus gros (20 titres au lieu de 12). Et toujours des inédits, bien qu'iceux aient été revus à la baisse. Assez cependant pour donner envie au consommateur lambda de se dresser sur ses p'tites pattes, de se bouger le cul et d'aller acheter un disque. Mais il est des cadeaux qui sont empoisonnés. Ce millésime 96 va donc se montrer intéressant, non pas pour ce qu'il propose, mais pour ce qu'il représente : le début d'un certain déclin, pour ne pas dire déchéance, du paysage musical français mainstream.

Ca commence pourtant pas mal avec Céline DION reprenant "Calling you". Une version qui, curieusement, tape moins sur les nerfs que l'originale. Façon simple et ouatée de débuter le disque. Une version live accélérée, anecdotique mais au moins pop/rock, du "Vertige de l'Amour" de BASHUNG laisserait présager d'un CD 96 dans la plus pure lignée du 95 : que nenni ! Car le premier gros défaut de ce disque, c'est la mollesse suprême qui va s'ensuivre. Oh certes, Stephan EICHER soigne les arrangements de son "Rien A Voir" unplugged, l'inédit d'ENZO ENZO est "Pariso-bucolique" (ça veut dire bobo mais sans insulte) et charmant, mais bon sang que c'est mou, consensuel, vieillot ! Entre MAURANE qui donne dans le saudade, MURAT sinistre, PAGNY qui reprend BREL n'importe comment (il avait déjà repris "Ne Me Quitte Pas", avec plus de réussite), Marc LAVOINE qui n'a pas encore sa tessiture profonde, c'est très, très très mou, et terriblement homogène. L'AFFAIRE LOUIS TRIO est représentée par son titre le plus smooth, Thomas FERSEN est... une question de goût (et rétro, vous en conviendrez), DE PALMAS donne un inédit au tempo plus lent que d'habitude... Jusqu'à LAVILLIERS, également soft, mais qui lui au moins vient disperser d'alléchantes effluves progressives.

Seuls trois artistes osent un poil se réveiller : Michel FUGAIN avec un réenregistrement d'un titre festif (joli riff de guitare), Art MENGO avec un intéressant inédit jazzy-shuffle au son crade qui aurait effectivement un peu juré sur l'album La Mer, et OBISPO qui reprend une ballade, oui, mais du tandem Jarre / Juvet, avec l'éternel problème du père Pascal : ce n'est que bien alors que ça pourrait être excellent. Sinon le reste, c'est du concentré de Cajoline, rien qui dépasse, tout dans le feutré. Ca augure bien de ce que va devenir la variété française peu après : m'enfin, suffit d'allumer votre radio, là, à l'heure où je vous écris, pour comprendre qu'entre LOUANE, Eddy DE PRETTO, BIGFLO & OLI, VIANNEY et GREGOIRE, la variété française mainstream est sur les rotules.

Gros pêché de liquéfaction donc ; mais ce n'est que la première moitié des soucis. Plus grave encore, et là aussi l'avenir a montré la voie, nos décideurs culturels ont choisi de placer à la fin du disque 5 "jeunes pousses". Bien comme idée, très bien, puisque c'est ce qui manquait au volume précédent. Sauf que la réalisation est calamiteuse. En les mettant tous ensemble, dans le ghetto du dernier quart de CD, ils dressent déjà une sorte de barrière invisible, entre "la musique des jeunes" et "la musique des gens normaux" (que je n'hésiterai du coup pas à appeler musique de vieux).

Non seulement le refus de mélanger les générations est une faute majeure (voire de l'ostracisation) , mais ce qui nous est proposé, au secours. Enregistré avant Saint Autotune, le titre de TONTON DAVID propose une prestation vocale avec * PAS UNE NOTE * de juste, bien vu l'aveugle. Le solo fçmant de guitare ne fera pas oublier que TONTON DAVID n'est pas Jimmy CLIFF, ouh ça non. MENELIK touche des droits d'auteur en recopiant une carte Michelin au pif, ALLIANCE ETHNIK lourdingue comme dix chars d'assaut montre que 4 minutes ne veulent rien dire si on part d'un principe quantique (avec un doublement de tempo à se pisser parmi). SILMARILS pourrait étonner : de keuwa ? Du hard rock heavy metal sataniste ? Non, car malgré de grosses guitares, SILMARILS a toujours été plus fusion que metal, et en prime c'est une reprise d'une (excellente il est vrai) chanson de RUN/DMC. Bien faite mais trop linéaire. Seules les NATIVE s'en sortent avec des voix sublimes et une chanson très correcte agrémentée d'un enfiévré solo de saxo, le tout en live.

Terriblement mal pensé et réalisé, ce CD "collector" sera le dernier, le ministère décidant de ne pas réitérer l'expérience l'année suivante. Et c'est peut-être tant mieux, car sous couvert d'une simple promo d'artistes doublée d'un geste généreux, ce disque porte en lui les germes du mal qui génocide notre variété française. 20 ans plus tard, l'histoire bégaie, vous n'avez désormais que deux styles : les musiques "z'urbaines" décomplexées et sans goût, et les musiques "non z'urbaines" (agraires donc, je suppute) fades et vieilles. La variété est tout sauf variée, et ce disque en est une preuve vivante. Mais qu'a-t-il bien pu se passer entre 1995 et 1996 pour connaître un tel appauvrissement ? Ca va encore être la faute à Chirac, vous allez voir...