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1970 The Source

Jimmy SCOTT - The Source (1970)
Par LE BARON le 26 Juin 2018          Consultée 1532 fois

Préparez vos mouchoirs, voici Jimmy SCOTT. Jimmy SCOTT, l’homme à la voix d’ange, l’homme à la carrière prometteuse rapidement brisée, finalement reconnu, mais si tardivement ! Jimmy SCOTT dont la vie ressemble à une tragédie et qui peut vous tirer des larmes en interprétant des standards que l’on connaît pourtant par cœur.

SCOTT naît à Cleveland, Ohio, en 1925, dans une famille nombreuse. Son père joue, boit et abandonnera ses enfants à la mort de leur mère, en 1938. Jimmy a 13 ans, il hante déjà les clubs de Cleveland, après avoir appris à chanter dans les églises. Pour un début larmoyant, c’est pas mal ! Mais ce n’est pas tout : peu après le décès de sa mère, on diagnostique à Jimmy SCOTT le syndrome de Kallmann. Autrement dit, il ne sera jamais pubère. Bon d’accord, c’est indécent d’étaler une existence sur la voie publique et de la réduire à des évènements plus ou moins difficiles. Mais comment ne pas parler de l’affection dont souffre SCOTT puisqu’elle est une des raisons majeures de cette voix dite d’ange, ni féminine ni masculine ?

Poursuivons l’invraisemblable trajet de ce poissard magnifique : à 20 ans, fraîchement débarqué à New-York, il est repéré par Lionel HAMPTON, le vibraphoniste. Ils enregistrent « Everybody’s Somebody’s Fool » en 1948, et c’est un succès. Début de la gloire ? Temporairement, oui. Mais SCOTT signe quelques temps après un pacte avec le Diable, ou presque : Herman Lubinsky. Le patron de Savoy Records parvient en effet à faire accepter à Jimmy un contrat pour le moins léonin : SCOTT est engagé à vie ! Cela bloquera sa carrière pendant des années, jusqu’à la mort d’Herman Lubinsky, en fait. En effet, ce dernier semble n’avoir jamais bien su quoi faire de son drôle d’oiseau et ne l’enregistrera que très peu. Mais il empêchera la diffusion de deux disques produits par d’autres, notamment The Source en 1970 pour Atlantic.

Alors qu’y a-t-il dans ce merveilleux disque bloqué en 1970, ressorti 30 ans après ? Il commence a cappella par « Exodus », la chanson tirée du film d’Otto Preminger. Quelques secondes à peine, et à moins d’avoir un cœur de pierre, vous êtes sous le charme. Ces quelques secondes portent en elles tout le poids du monde : la déréliction et l’exil. On remonte à la Chute, si l’on peut dire, et cela n’a rien a voir avec la religion, plutôt avec le sentiment d’une solitude béante, d’une absence incommensurable. Entrent alors le piano, la contrebasse et la batterie, et cela devient d’une folle élégance. Arrangements chaleureux et sobres, cordes comprises, et la voix de SCOTT qui effleure l’orchestre en jouant de façon très particulière avec la pulsation, l’étirant à l’envi. Non qu’il soit à côté du rythme ou qu’il swingue, cela ne collerait pas avec l’ambiance générale, mais disons qu’il installe son propre tempo et que l’hésitation qui s’en dégage est une de ses marques de fabrique, comme un reflet de sa fragilité.

« Exodus » atteint directement un sommet que l’on ne quittera plus. Les morceaux – tous connus – s’enchaînent avec une évidente fluidité, chantés avec la même fêlure confinant curieusement à la grâce. « Our Day Will Come », «  The Love Of Mine » , on pourrait tous les citer. Beaucoup de chansons d’amour et, bizarrement, d’espoir. SCOTT a l’extrême élégance de ne jamais verser dans le pathos, même s’il chante tous les textes au premier degré. On a donc envie d’y croire, y compris lorsqu’il interprète « On Broadway » qui pourrait pour le moins sonner ironique lorsqu’on connaît son parcours !

C’est donc cette voix étrange et l’intensité de l’interprétation qui rendent ce disque incroyable. « Sometimes I Feel Like A Motherless Child » en est peut-être l’exemple le plus frappant. Les versions de ce « spiritual » sont si nombreuses qu’il paraît difficile de le renouveler. Et pourtant, Jimmy SCOTT signe ici une interprétation tellement poignante qu’elle en devient définitive.

Lubinsky meurt en 1974. A cette époque, SCOTT est déjà retourné à Cleveland et enchaîne les boulots alimentaires, persuadé que sa carrière est bel et bien terminée. Quelques albums paraîtront de temps à autre, mais il ne (re)trouvera réellement le devant de la scène que dans les années 90*, notamment grâce à Lou REED, qui le fera chanter sur Magic And Loss**. Quant à The Source, il ne réapparaîtra chez Atlantic qu’en 2000*** !

The Source aurait pu n’être qu’un énième album de standards, comme il en existe tant dans le jazz vocal. Mais l‘élégance de l’orchestre, la voix unique de Jimmy SCOTT, l’intensité de son interprétation, gorgée de soul, rendent l’ensemble d’une puissance intemporelle. A écouter absolument.



*Et jusqu'en 2014, année de sa mort.
**Lou REED l’a entendu chanter aux funérailles de Doc Pomus, dont la mort l’inspirera justement pour écrire Magic And Loss.
***La réédition de l’album en CD propose la même photo de femme que sur la pochette d’origine. Cette photo en rajoute évidemment sur l’ambiguïté qui se dégage de la voix de Jimmy SCOTT.

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   LE BARON

 
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- Jimmt Scott (voix)
- Junior Mance (piano)
- Eric Gale (guitare)
- Billy Butler (guitare)
- Ron Carter (basse)
- Bruno Carr (batterie)
- David Newman (flutes, saxophone ténor)
- Joe Gentle (saxophone ténor)
- Gene Orloff (arrangements cordes)
- Stewart Clarke (arrangements cordes)


- the Source
1. Exodus
2. On Broadway
3. Our Day Will Come
4. I Wish I Knew
5. Unchained Melody
6. Day By Day
7. Sometimes I Feel Like A Motherless Child
8. This Love Of Mine



             



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