La croisée des chemins. Cette situation arrive plusieurs fois dans une vie. Alors dans une vie d'artiste, sans être un quotidien, c'est une récurrence. Mike SHINODA se trouve à nouveau seul face à la page blanche. Le décès de Chester Bennington en juillet 2017 a provoqué un vif changement dans l'entité qu'est LINKIN PARK. Impossible pour Mike de se servir du nom pour continuer l'aventure. Il ne choisit pas pour autant de reprendre son projet FORT MINOR là ou il l'avait laissé il y a quelques années avec la réussite qu'on connaît. Mike veut assumer. Il est là, triste, plein d'émotion, plein de sentiments divers consécutifs au départ de son ami. Certains diront qu'il en fait un peu trop, Chester est omniprésent tout au long de l'album, qui plus est les feux infernaux dont est victime la Californie cette année ne fait que renforcer le ton fataliste de cet opus.

Commençons plutôt par le positif, les trois titres du EP du même titre sorti quelques mois plus tôt. L'ambiance presque Trip hop de "Place to start" pose les bases d'un album tourné vers l'introspection et une recherche sur demain. Mike comme souvent fait part de ses tourments à ses fans, assez remarquable, on sent l'habituelle pattern des compos de Mike, dans le bon sens du terme, avec sa voix et une nappe sourde de synthé. Très réussie comme intro. Il fallait bien débuter la thérapie quelque part. La tristounette "Over again" résonne alors, comme si la vie n'était que ça, un éternel recommencement, une perpétuelle remise à zéro. Évidemment … Quoi d'autre ? Enfin, "Watching as I fall" reste dans cette même mouvance, entre Hip hop au flow souple et électro presque trip hop... du Mike SHINODA dans le texte. Je rajoute le bel instrumental "Brooding", qui expose les angoisses et l'oppression dans laquelle évolue l'artiste lors de cette période.

Mike propose ensuite deux singles : le piano de "Crossing a line" impose une toute autre forme d'ambiance avec son orgue à la WHO. Le titre est d'ailleurs résolument pop, un peu... mou ? C'est médiocre et j'avoue qu'un peu d'agressivité ne m'aurait pas rebuté, bien au contraire. On sent confusément que l'artiste ne souhaite pas sortir l'artillerie lourde pour honorer la mémoire de son pote. Au tour de "Nothing makes sense anymore" avec ses nappes de synthé, laisse la voix de Mike créer l'ambiance. On le sent rebelle face au destin; nettement, l'artiste n'est pas prêt à rendre les armes même s'il se sent impuissant. C'est tout le sens de cette chanson.

Hélas, les choses se corsent ensuite. Plusieurs titres me semblent clairement en deçà. "Ghosts", une pop très simpliste, un joli refrain, mais sans relief. Toujours assez rap et avec de l'autotune assez moche, "Can't hear you now" est pop. Le répétitif "World's on fire" manque d'une ligne mélodique et un peu de couilles, mais Mike semble avoir laissé aux vestiaires certaines de ses idées phares sur la musique. "Make it up as I go" penche vers une électro-dance d'extraction incertaine.

Plusieurs titres d'obédience Rap pointent le bout du nez, on les attendait. "Lift off" rappelle certains élans du défunt FORT MINOR, mais reste trop discret. Puis on ne sait pas trop où souhaite nous emmener Mike sur le rap "IOU", l'idée paraît bonne mais n'aboutit pas. On soulignera le flow assez rageur de "About you", enfin... Sinon, c'est plutôt électro : "Running from my shadow" n'a que son refrain à proposer et "Promisses I can't keep" propose une débauche de gros sons synthétisés. C'est très pop, avec un refrain sympa comme Mike les compose souvent, mais ça reste standardisé.

Tout ça manque soit d'émotion mélodique, soit de gratte bien énervée. Nous sommes finalement un peu dans la suite du dernier LINKIN PARK, celui qui ne m'a laissé qu'un souvenir assez amer. Tout ceci n'est pas simple. L'avenir incertain de LINKIN PARK sans Chester, les compos décevantes du dernier album, à présent cette difficulté de rebond sur un album qu'on aurait espéré plus percutant et rebelle. Mike est au fond du trou, survit grâce à son talent toujours là mais bien entamé par la conjoncture. Je penche pour un 2.5 arrondi à 3 pour les quelques titres pop qui surnagent. Soyons positifs et ne tirons pas sur l'ambulance.