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1973 Love Songs And Lamentations

ITSUROU SHIMODA - Love Songs And Lamentations (1973)
Par COWBOY BEBOP le 22 Novembre 2018          Consultée 1885 fois

Le milieu des années 70 est le théâtre de grands bouleversements dans le paysage de la musique populaire japonaise. L'hégémonie des « group sounds » durant la décennie précédente a grandement contribué à l'invasion de la pop-rock occidentale, à grand coups de reprises de ses standards et de ses hits, préparant ainsi le terrain pour la déferlante du hard rock et du psyché qui toucha le Japon quasiment en même temps qu'elle envahissait le monde occidental — soit entre 69 et 71. Mais là encore, c'est principalement par le biais de reprises et de réinterprétations (qui parfois, il est vrai, transfiguraient nettement leur modèle) que des groupes comme POWERHOUSE ou YUYA UCHIDA & THE FLOWERS (devenu par la suite le fameux FLOWER TRAVELLIN' BAND) apprivoisent ces nouvelles perspectives sonores. Et quand bien même certains n'hésitent pas à s'émanciper des modèles préfabriqués — citons par exemple l'incroyable BLUES CREATION et les désaxés de chez SPEED, GLUE & SHINKI — on dépasse rarement le stade de la copie honnête.

Il faudra encore attendre quelques années et la disparition de la quasi-totalité de ces formations épigones — dont la durée de vie éclair rivalisa souvent de brièveté avec celle des éphéméroptères — pour voir enfin émerger des démarches cohérentes, véritablement originales et techniquement solides. Comme s'il avait fallu un peu de temps pour digérer les influences occidentales, et pour arriver à ce moment où le public comme les musiciens ne se satisfont plus de simples reprises ou de décalques maladroits. La décennie 70 est témoin de nombreux groupes et artistes aujourd'hui considérés comme cultes : le SADISTIC MIKA BAND, AKIKO YANO, SUGAR BABE, le YELLOW MAGIC ORCHESTRA... Tous ont en commun de reprendre à leur compte les styles hérités de l'occident — blues, folk, musique électronique, etc. — pour les transmuter en quelque chose de neuf, quitte à les combiner avec les sonorités plus vernaculaires des instruments traditionnels (taiko, koto, shinobue...).

Le début du millésime 1980 mit plus ou moins un terme à cet « âge d'or », avec l'arrivée de la city pop qui rapidement devint la J-Pop, ainsi que du métal qui passa à la moulinette du J-fusion pour devenir le visual kei. Et s'il est monnaie courante chez les mélomanes de dépeindre les seventies comme la dernière décennie créative de l'occident musical, force est de reconnaître qu'un tel constat s'applique plutôt bien au Japon contemporain. La J-Pop et ses dérivés ont en effet si bien affermi leur empire sur le domaine du grand public, que la musique populaire s'est transformée en un immense hypermarché ; où les groupes sont imaginés, conçus, marketés et consommés comme autant de produits, et où les différences entre deux « artistes » n'excèdent pas celles entre deux marques de surimi — la saveur du résultat final étant d'ailleurs à peu près comparable.

Mais trêve de digressions déprimantes : revenons donc à ce glorieux Japon des années 70 — et plus précisément en l'an de grâce 1973, où notre protagoniste, Itsurou SHIMODA, vient de sortir son deuxième L.P.

Son titre original est 飛べない鳥、飛ばない鳥, que l'on peut grossièrement traduire par « L'oiseau qui ne pouvait pas voler, et celui qui ne voulait pas voler ». Bien que perdant toute cette dimension poétique, le titre anglais, Love Songs and Lamentations, a le mérite d'annoncer la couleur. Ici, point de folk engagé à la Nobuyasu OKABAYASHI, mais surtout des ruminations mélancoliques et des péans enflammés. S'il fallait absolument classer ce disque, on pourrait le situer dans la catégorie du « folk hippie » : des arrangements plutôt simples où prédomine la guitar sèche, des percussions jouées à la main et une mise en valeur de la voix comme instrument principal.

Et en effet, l'une des plus grande qualités de Love Songs and Lamentations, c'est d'emprunter avec brio la voie du folk polyphonique, qui en Occident avait connu son heure de gloire quelques années plus tôt, avec AMERICA, CSNY, les EAGLES — et tant d'autres. SHIMODA met à profit sa science des arrangements vocaux, acquise en tant que directeur artistique d'une troupe de théâtre musical, pour créer d'impétueuses architectures phoniques. Ainsi, sa propre voix est accompagnée en permanence par un chœur en perpétuelle évolution. Parfois, ce sont de simples vocalises en arrière-plan, ou de discrètes onomatopées rythmiques ; puis soudain la guitare s'emballe et c'est un feu d'artifice polyphonique, une tornade sonore où la voix de Shimoda est engloutie et assimilée.

L'identité de l'un de ces choristes est d'ailleurs une surprise : il s'agit de Vickie Sue ROBINSON, surtout connue pour son interprétation du single « Turn The Beat Around » sorti en 1976. Dieu seul sait ce qui a bien pu pousser une chanteuse de rhythm'n'blues américaine à faire un tour au Japon pour enregistrer un disque avec un parfait inconnu. Quoi qu'il en soit, sa présence apporte énormément à l'album. Unique voix féminine au milieu d'un chœur masculin, elle offre un contrepoint enrichissant aux harmonies vocales, et son phrasé très « soul » contraste agréablement avec celui tout en voyelles amples de Shimoda, inspiré de l'enka moderne. Sa performance atteint un sommet sur le bien-nommé « Two Voices », où elle s'engage dans un duo aux allures de duel avec une guitare, avant de rejoindre le choeur pour un final explosif.

Une des particularités intéressantes de ce L.P., c'est la nette séparation qu'il opère entre ses deux langues : la première moitié des chansons (qui correspond sans doute à ce qui était la face A) est chantée intégralement en japonais, et la seconde presque uniquement en anglais — dont Shimoda maîtrise plutôt bien la prononciation, ce qui est assez rare chez les chanteurs japonais pour être noté. Ce clivage linguistique est d'autant plus marquant qu'il est reflété par la tracklist : dans l'édition originale, tous les titres des chansons de la face A sont rédigés en kanjis (ici traduits très approximativement). Ces symboles, par leur ésotérisme, laissent les non-initiés libres d'imaginer eux-mêmes le sujet des chansons et d'en réécrire les paroles en imagination. Paradoxalement, c'est cette opacité du langage qui permet de retrouver un rapport plus intime avec les textes — celui que l'on pouvait avoir dans nos années de découverte de la musique anglophone, où la langue de Milton nous était alors en grande partie impénétrable, et que chaque texte était un véritable logogriphe que l'on devait déchiffrer. Ainsi, « Everybody Anyone », avec son atmosphère crépusculaire et ses tambourins réverbérés à la manière d'Enio MORRICONE, pourrait être le thème d'un western moderne où les plaines arides du midwest auraient été remplacées par les rues nocturnes d'une mégalopole inquiétante. À l'inverse, le refrain aux accents épiques et le titre mystérieux de la chanson éponyme évoquent quelque légende d'autrefois, exhumée d'un temps oublié où les esprits et les monstres vivaient parmi les hommes.

S'il fallait absolument soulever quelques points négatifs, on pourrait noter l'excessive ressemblance que partagent la plupart des chansons entre elles — le songwriting de Shimoda suivant peu ou prou la même voie à chaque fois. On pointera également du doigt quelques titres qui s'éternisent et font un peu trop durer le plaisir (« The Bird Who Couldn't Fly » et « Let's Go Home », notamment). Mais ce sont bien là les seuls défaut que l'on pourra reprocher à ce très bon album. De par son énergie transcendante, ses ambiances captivantes et la maestria de ses performances vocales, Love Songs And Lamentations trouve aisément une place de choix dans le panthéon du folk japonais.

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1. The Bird Who Couldn't Fly And The Bird Who Didn't
2. To You
3. Anyone
4. Two Boats
5. Let's Go Home
6. All This Time
7. I Cried
8. Two Voices
9. Like A Child
10. Moving On



             



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