1998. Les auditeurs, autant que les artistes, sont sur les starting-blocks, prêts à découvrir quelle réponse NTM a préparé au devenu mythique L'école du micro d'argent de son concurrent direct, IAM. Depuis le début l'échec n'est pas envisageable pour NTM, qui enchaîne les succès. Même si les deux protagonistes Joey Starr et Kool Shen sont de jeunes profils de mules qui donnent l'impression de n'en faire qu'à leur tête, force est de constater que l'alchimie fonctionne entre eux. A l'époque, nul n'était assez visionnaire pour annoncer que la carrière du groupe n'était qu'une montée en puissance depuis la genèse, pour arriver à leur pièce maîtresse Suprême NTM. C'est au bout de la quatrième production que le groupe saura enfin utiliser à pleine capacité son attitude ghetto et borderline pour le rendre le plus accessible à l'auditeur.

Nous voilà donc, nous et notre album aux allures de best-of, complètement subjugués par la qualité du travail dantesque fourni par le groupe. La prestance des deux rappeurs est telle qu'ils s'approprient chaque production, chaque petite mélodie pour la maîtriser dans tous les retranchements et en sortir la meilleure interprétation possible. Cela va tout simplement créer l'un des meilleurs albums de tous les temps du hip-hop français. La spontanéité est maître mot, et s'applique directement à des productions telles que "Back dans les bacs" qui annonce le retour tonitruant des deux rappeurs, tout cela sur une mélodie rock'n'roll qui caractérise bien le groupe.

L'album se veut sombre, au-delà de sa pochette qui n'est autre qu'une mise en abîme de la noirceur, nous nous rendons rapidement compte de la grotte dans laquelle on s'engouffre dès "Intro" qui utilise la voix gutturale d'un Joey Starr maléfique pour donner le ton. L'ambiance est donnée, NTM n'a jamais été un groupe qui fait dans le tout rose et cela va se prouver une fois de plus. Les deux rappeurs utilisent des instrumentations parfois rock, parfois nostalgiques, aux aspects blues qui font mouche à chaque fois.

La liste des tubes est monstrueuse sur cet album. De l'agressivité obligatoire d'un "Back dans les bacs" à un "Hardcore sur le beat" qui utilise le plein potentiel des deux rappeurs, il va se passer énormément de belles choses. De grands morceaux. Le culte "Laisse pas traîner ton fils", discours moralisateur de deux rappeurs ayant bien trop essuyé les coups de la rue, et qui poussent les futurs parents à ne pas faillir. La beauté des textes grattés par Kool Shen et Joey Starr en émouvra plus d'un, chaque mot est utilisé avec justesse et les deux rappeurs nous prouvent ici qu'ils ne sont pas obligés de forcer la voix pour toucher leur audience. Sur "That's My People", autre classique intemporel du groupe, seul Kool Shen est à l'œuvre et ose poser sa voix sur une mélodie empruntée au compositeur Frédéric CHOPIN "Prelude OP.28 No.4". Son interprétation frôle sans aucun doute la perfection, tandis que l'écriture autobiographique affecte aisément nos émotions.

Fini les mélodies douces et les voix calmes, retournons dans le sujet le mieux maîtrisé par le groupe. Ils font mouche avec "Seine Saint Denis style" qui est l'un des hymnes du rap français, suivi par "Ma Benz" probablement encore plus reconnu et culte. Ne vous inquiétez pas si vous ne comprenez pas les phrases prononcées par Lord KOSSITY dans ce morceau, il vous faudra plusieurs écoutes. C'est ce qui fait le charme de ce morceau, la touche reggae qui va nous donner envie de bouger la tête sur le rythme endiablé et une interprétation aux petits oignons des trois protagonistes. Ce titre est, encore vingt années plus tard, l'un des plus gros succès du rap français. Hymne intemporel qu'il est nécessaire de connaitre.

Le storytelling présent sur "C'est arrivé près de chez toi" n'est autre qu'une dénonciation des meurtres présents dans les cités contre lesquels les rappeurs militent activement. Arrive le grand "On est encore là" qui se divise en deux parties, qui vont cependant avoir les mêmes textes mais pas la même instrumentation. Lutte contre la censure, ce morceau va s'inscrire comme l'un des fers de lance du groupe qui en a marre de ne pas être pris au sérieux pas une partie de la population.

Les discours engagés font partie intégrante de l'emprunte de NTM, et "Odeur de soufre" en est l'ultime preuve, où Joey Starr et Kool Shen scandent des textes justes qui touchent dans le mille. D'ailleurs "Je vise juste" ne me fait pas mentir, les rappeurs sont du même avis que moi sur la qualité de leurs textes. Préparez vous au rap de Joey Starr, qui est tout seul dans ce morceau, pour le moins déconcertant durant les premières écoutes. L'ambiance est bien différente sur "Respire" mais le discours est tout aussi révélateur du ras le bol.

L'engagement des deux rappeurs se retrouve sur "Pose ton gun", au discours ayant vocation à calmer les tensions, avec un Joey Starr encore une fois étonnant et un classique du rap français à la clé. "Hardcore sur le beat" termine l'album avec l'aide de Busta FLEX et de MASS qui viennent poser leur voix sur une instrumentale de grande qualité. "Outro" va permettre aux deux créateurs du groupe NTM de partir de manière mélancolique, douce et ayant le sentiment du devoir accompli.

Suprême NTM, c'est l'emblème d'une génération. La domination est totale. 40000 ventes le jour de sa sortie. Ce chiffre est assez révélateur de l'incroyable performance réalisée par NTM. Chaque morceau est peaufiné à la perfection, que ce soit dans l'interprétation de Kool Shen et Joey Starr, que dans la production de grande facture. Un chef d'œuvre du rap français fut créé, ni plus ni moins. Cet album va laisser sa trace, probablement indélébile, dans un monde hip-hop qui lui est plus que redevable. Merci NTM.